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Risques industriels : éviter de nouvelles catastrophes

par François Desriaux / janvier 2014

Sommes-nous bien protégés des risques industriels ? On ne va pas se mentir, la réponse est plutôt négative. Et c'est pour cela que nous publions ce dossier, "à froid", pour faire réfléchir les acteurs. Non, la situation dans les industries à risque n'est pas aussi sûre qu'elle devrait l'être. Sans doute pas à cause d'une insuffisante maîtrise technologique : en France et dans la majorité des pays développés, nous avons des ingénieurs compétents, capables de concevoir des installations sophistiquées, des automatismes et des procédures prévoyant un maximum de situations. Sauf qu'on aurait tort de croire que tout peut être prévu et réglé. Les causes profondes des grandes catastrophes industrielles, Bhopal, Tchernobyl, AZF, pour ne citer que les plus connues, sont d'origine organisationnelle. Or, de ce point de vue, si les industries à risque ont fait d'indéniables progrès sur la prise de conscience du poids de l'organisation du travail dans la construction d'une culture de sécurité, elles n'échappent pas au renforcement des contraintes de temps, aux politiques de sous-traitance, à la rationalisation des tâches, aux risques psychosociaux... Autant de dégradations des conditions de travail qui entraînent des difficultés de coopération, de partage et de mise en débat des expériences, indispensables pour garantir un bon niveau de sécurité industrielle. Miser sur l'intelligence des opérateurs est aussi crucial que de parier sur celle des experts.

"Utiliser l'analyse de l'activité comme outil"

par Rozenn Le Saint / janvier 2014

Pour Thierry Viallesoubranne, de la CGT, l'action des élus CHSCT dans le nucléaire ne peut se limiter à faire respecter la réglementation. Ils doivent aussi pouvoir analyser l'activité et les risques qui y sont liés, ce qui exige du temps et une formation adaptée.

Quels sont les dangers auxquels un CHSCT est confronté dans le nucléaire ?

Thierry Viallesoubranne : Travailler dans une centrale nucléaire, ce n'est pas être exposé uniquement aux rayonnements ionisants ou à un risque majeur. Le CHSCT doit intégrer l'ensemble des dangers que l'on peut rencontrer dans une industrie qui ne serait pas nucléaire, comme l'exposition à d'autres produits chimiques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques tels que l'hydrazine, le formaldéhyde, le bore ou encore l'amiante. Par ailleurs, le travail posté, l'exposition à la chaleur ou au bruit produisent également des accidents du travail, de la souffrance mentale, des troubles musculo-squelettiques et autres maladies professionnelles.

La réglementation en matière de sécurité, plus importante dans votre secteur, n'encourage-t-elle pas les CHSCT à se focaliser sur son respect au lieu d'aborder les questions de prévention ?

T. V. : La réglementation fixe un cadre minimaliste à mettre en oeuvre pour protéger la santé des travailleurs. Le CHSCT doit veiller à ce que l'employeur la respecte. En 1998, quand je suis arrivé au CHSCT, les désaccords portaient sur le sens du Code du travail. Mais cela ne permettait pas de transformer les situations de travail du personnel.

Faire de la prévention uniquement en respectant le prescrit, c'est nier le travail et tout son sens. Par exemple, l'employeur prescrit de porter des lunettes pour circuler sur le lieu de travail. Or ces lunettes protègent moins bien et sont inappropriées face à certaines situations de travail. Ainsi, des salariés sont amenés à les porter lors d'activités comme le meulage, alors que d'autres lunettes spécifiques seraient plus appropriées. Résultat, les chocs et les accidents aux yeux sont plus graves qu'avant. Le CHSCT a verbalisé son désaccord dès la mise en place du port obligatoire des lunettes. Si la réglementation ou le prescrit rassurent, car ils donnent un cadre, ils deviennent un piège si l'on s'y enferme.

Quel regard portez-vous sur les moyens dont disposent les représentants du personnel au CHSCT pour accomplir au mieux leur mission ?

T. V. : Tout d'abord, compte tenu de la technicité de la réglementation dans le nucléaire et des déterminants du risque industriel, ce ne sont pas les trois jours de formation par an et les cinq jours la première année de mandat qui nous rendent efficaces. Cela permet tout juste de comprendre le fonctionnement du CHSCT et la loi Transparence et sécurité nucléaire. Pour pouvoir réaliser de véritables analyses des risques, il faut davantage utiliser l'analyse de l'activité comme outil. Parmi les membres du CHSCT, je suis le seul à avoir acquis les compétences pour en réaliser, grâce à l'obtention d'un diplôme universitaire d'ergonomie. Je l'ai obtenu dans le cadre d'un congé individuel de formation et non via le CHSCT, comme cela aurait dû être le cas. L'accès à cette formation pour les membres du CHSCT devrait être facilité. Il est également important de créer des moments de rencontre avec des chercheurs, des scientifiques, des toxicologues, des ergonomes, etc. Il faudrait aussi permettre la participation à des colloques organisés par les institutionnels sur la prévention des risques. Enfin, il nous faut du temps. Lors des pics d'activité, 3 000 personnes travaillent sur notre site. Dans l'industrie du nucléaire, le secrétaire de CHSCT, au moins lui, devrait pouvoir consacrer 100 % de son temps de travail à son mandat, pendant la durée de ce dernier.