© Shutterstock
© Shutterstock

20 000 accidents du travail dus à la souffrance psychique

par Rozenn Le Saint / 24 janvier 2018

Selon un récent bilan présenté par l’Assurance maladie, pas moins de 20 000 cas de maladies psychiques ont été reconnus en accidents du travail, contre seulement 596 indemnisés au titre des maladies professionnelles.

Pour une fois, la Sécu a mis les pieds dans le plat sur l’ampleur des risques psychosociaux au travail. En révélant, le 16 janvier dernier, que 10 000 affections psychiques ont été reconnues comme accident du travail (AT) en 2016, la direction des Risques professionnels (DRP) de l’Assurance maladie a joué la transparence. Dans le rapport Santé travail : enjeux & actions, la DRP va même plus loin, puisqu’elle  estime qu’en ajoutant aux 10 000 cas recensés à partir des certificats médicaux initiaux remplis par les médecins, les déclarations d’accidents du travail remplies par les employeurs et dont les circonstances décrites s’apparentent à des risques psychosociaux, « ce sont quelques 10 000 cas supplémentaires qu’il faut ajouter à ce décompte, soit au total 20 000 AT représentant 3,2 % des accidents du travail ». Un chiffre sans commune mesure avec les seuls 596 cas d’affections psychiques indemnisés par la Sécurité sociale au titre des maladies professionnelles (MP).
Ce grand écart s’explique par la difficulté à faire reconnaître les troubles psychiques en maladies professionnelles, en l’absence de tableau. Face à cet obstacle, les associations de victimes ont adapté leur stratégie, à l’instar de la Fnath (Association des accidentés de la vie), comme le décrit son secrétaire général, Arnaud de Broca : « Nous obtenons plus facilement une reconnaissance en accident du travail qu’en maladie professionnelle, même s’il faut prouver un événement soudain ou une succession d’évènements avec un élément déclencheur tel qu’un entretien annuel d’évaluation ou un échange brutal avec un supérieur ou collègue. De ce fait, nous privilégions cet axe de défense. »

Des maladies reconnues... en cas de suicides

Depuis 2012, les demandes de reconnaissance des affections psychiques sont passées de 200 à 1 100 et devraient « avoisiner 1 500 en 2017 », selon le rapport de la DRP, qui admet avoir validé 70 % des demandes de reconnaissance en AT contre seulement 50 % de celles en MP. Les critères à remplir pour obtenir la reconnaissance en MP, et notamment le taux d’incapacité exigé, sont souvent inatteignables, comme le confirme Michel Lallier, président de l’Association d’aide aux victimes et aux organisations confrontées aux suicides et dépressions professionnelles (ASD-Pro) : « Parmi tous les dossiers dans le secteur privé que nous avons défendus, nous avons seulement obtenu la reconnaissance en maladie professionnelle quand il s’agissait de suicides, avec, forcément, un taux d’incapacité supérieur à 25 % »1 , regrette-t-il.
Ce seuil est extrêmement compliqué à atteindre2 via les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP), sollicités lorsqu’il n’y a pas de tableau. « Le système de reconnaissance des affections psychiques en maladie professionnelles est inadapté et devrait être amélioré », constate Arnaud de Broca. C’est d’ailleurs l’objet de la proposition de loi sur le burn-out, visant à faire reconnaître comme maladies professionnelles les pathologies psychiques résultant de l’épuisement professionnel, déposé le 20 décembre 2017 par François Ruffin (La France insoumise). Elle sera examinée le mercredi 24 janvier en commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale.

Le médico-social en tête de peloton

De son côté, le rapport de l’Assurance maladie préconise de mettre l’accent sur la prévention pour les secteurs où les salariés sont particulièrement exposés à des AT pour atteintes psychiques, comme le médico-social, qui concentre 18 % des AT reconnus, le transport (15 %) et le commerce de détail (15 %). « Des secteurs qui cumulent difficultés des conditions de travail, réduction de personnel, mais aussi rapports parfois compliqués avec le public », analyse Arnaud de Broca. Ce n’est pas un hasard, aux yeux de Michel Lallier : « Nous parvenons davantage à faire constater des états de stress post-traumatique dans les métiers en lien avec le public, car c’est le rapport avec la clientèle qui est mis en cause, et non l’organisation du travail. » Autres enseignements du rapport : la catégorie socioprofessionnelle la plus touchée par ces accidents est celle des employés et les femmes sont majoritairement concernées, puisque 60 % des cas déclarés en accidents du travail les concernent.
 

A lire, à voir ailleurs sur le web :
– L’enquête « Silence au bout du fil », de notre journaliste Clotilde de Gastines, accompagnée des dessins de Thierry Bouüaert, dans le n° 18 de La Revue dessinée, hiver 2017-2018.
– Les enquêtes dessinées « Justiciers de l’amiante » et « Police secours », dans le n° 41 de XXI, hiver 2018.
– La page de l’événement « Tout le monde déteste le travail », journée d’échanges organisée samedi 27 janvier par l’Union syndicale Solidaires.

  • 1Lorsqu’il n’existe pas de tableau de maladie professionnelle, les victimes peuvent avoir recours au système complémentaire de reconnaissance, à condition qu’elles bénéficient d’un taux d’incapacité permanente partielle (IPP) supérieur à 25 % (voir art. L 461-1 alinéa 4 du Code de la Sécurité sociale). Dans le cas des pathologies psychiques, le médecin conseil évalue un taux d’IPP « prévisible », au moment de la déclaration et sans attendre que la maladie soit stabilisée.
  • 2Lire « Maladies professionnelles : le système complètement asphyxié », Santé & Travail n° 92, octobre2015.