A la MSA, des conseillers en prévention inquiets

par Ivan du Roy / octobre 2012

Suite à la réforme des services de santé au travail, les conseillers en prévention de la Mutualité sociale agricole devraient se retrouver sous la tutelle de médecins du travail. Ils craignent d'y perdre en termes d'autonomie et de pratiques.

C'est une des spécificités du régime agricole de protection sociale : il intègre à la fois une médecine du travail et un département de prévention des risques professionnels. Les deux sont gérés par la Mutualité sociale agricole (MSA), à laquelle sont affiliés 1,2 million d'actifs, du saisonnier à l'exploitant, de l'éleveur à l'élagueur (voir "Repères"). Aux côtés de 350 médecins du travail oeuvrent ainsi 280 conseillers en prévention, un métier apparu en 1973. Or ces conseillers nourrissent aujourd'hui quelques inquiétudes quant à l'avenir de leur activité. En cause : un décret du 29 juin dernier, qui décline dans le secteur agricole les dispositions de la réforme de juillet 2011 relative aux services de santé au travail. Il stipule en effet que les conseillers en prévention passeront sous l'autorité directe d'un médecin du travail.

Repères

Sur les 1,2 million d'actifs affiliés à la Mutualité sociale agricole, 45,5 % le sont au titre du régime des non-salariés et 54,5 % au titre du régime des salariés. La MSA gère pour ces deux régimes les prestations liées aux retraites, à l'assurance maladie, à la famille et aux accidents du travail et maladies professionnelles. En 2011, 28 361 accidents du travail ont été déclarés pour le régime des non-salariés et 79 814 pour celui des salariés.

Un métier aux multiples facettes

Un changement de hiérarchie qui pourrait être synonyme de "perte d'autonomie", redoute Philippe Nonie, conseiller en prévention depuis douze ans et président de l'Association nationale des préventeurs et assistants de prévention de la MSA (Anpap). Autre risque : que la pluridisciplinarité qui caractérise les équipes de prévention - composées d'ergonomes, d'experts en hygiène et sécurité, de conseillers en bâtiments agricoles et, plus récemment, de psychologues du travail - soit remise en cause. "Nous n'étions pas trop favorables à cette réforme. Le médecin du travail ne connaît pas forcément notre métier", commente Philippe Nonie.

Créée en 2009, l'Anpap "n'est pas un syndicat mais une force de proposition", précise-t-il. Ses représentants ont participé à ce titre à la rédaction du décret. Ils souhaitent y "faire valoir leur approche différente et complémentaire de la médecine du travail", déclare Philippe Nonie Car le métier des conseillers en prévention comporte de multiples facettes : ils conseillent l'employeur, forment les salariés, auditent usines et exploitations, accompagnent les entreprises, y compris par des dispositifs d'aides financières. "Sans verbaliser, nous avons toute une palette de possibilités", note Magalie Cayon, en charge du département risques professionnels à la caisse centrale de la MSA. Comme ce contrat de prévention, par exemple, signé avec une scierie pour installer un dispositif de captation des poussières de bois. Dans ce type d'établissement, le taux de fréquence des accidents du travail est en moyenne parmi les plus élevés du régime agricole. Et les cancers professionnels liés au bois peuvent survenir quarante ans après la dernière exposition.

Les missions des conseillers en prévention répondent à des impératifs humains, sanitaires mais aussi économiques. Car, pour la MSA, la mise en place d'une prévention spécifique des risques professionnels obéit à un objectif financier : que les cotisations soient plus importantes que les indemnités. Indemniser et soigner les accidentés du travail, les victimes de maladies professionnelles ou d'accidents de trajet coûte près de 320 millions d'euros par an à la MSA. De quoi inciter à une véritable politique de prévention, au plus près du terrain.

Prévention à long terme

Depuis quarante ans, le travail des conseillers en prévention a considérablement évolué. "Jeune préventeur, je me concentrais sur les accidents du travail, mais je ne me projetais jamais à long terme, raconte Philippe Nonie. Désormais, il s'agit d'éviter qu'à l'avenir nous n'ayons des bombes à retardement." A l'image de l'amiante, très présent dans le secteur, que ce soit dans les engins agricoles ou dans les toits en éverite (amiante-ciment) de nombre d'exploitations. Philippe Nonie a d'ailleurs accompagné un ouvrier agricole, parti en retraite en 2009, pour une enquête en reconnaissance de maladie professionnelle. Pour réparer un véhicule, il soufflait régulièrement sur les fibres d'amiante de l'embrayage. "Je l'ai vu pour la dernière fois en mars, il est mort trois mois après", soupire le conseiller en prévention.

Désamorcer ces "bombes à retardement" passe aussi par des formations. Dans un lycée horticole de Tarbes (Hautes-Pyrénées), dans le cadre d'une simulation d'épandage de pesticides, le produit phytosanitaire a été remplacé par de la fluorescéine, une substance qui devient fluorescente à la lumière du jour. Suite à la simulation, les futurs agriculteurs se sont aperçus que la fluorescéine scintillait sur leurs chaussures, leurs mains, leur visage, voire dans leur bouche et sur leurs yeux... Bien mieux qu'un étiquetage qui ne sera pas lu. "Les exploitants ou les salariés agricoles traitent souvent les pépinières et les serres en short et en tee-shirt, car ils ont trop chaud avec la combinaison, explique Philippe Nonie. L'objectif est de modifier le comportement des personnes, de les inciter à se protéger, surtout les jeunes, avant que les mauvaises habitudes ne soient prises."

Les conseillers en prévention appréhendent de passer sous l'autorité d'une personne qui ne saisira pas forcément la diversité de leurs missions ou ne se concentrera que sur les aspects médicaux. "Mon chef, qui lui est du métier, saura nous répondre si nous rencontrons un obstacle, pas le médecin du travail", estime le président de l'Anpap. Un sentiment que ne partage pas Yves Cosset, médecin-chef et responsable national du service de santé et sécurité au travail de la MSA. "Il n'y a aucune crainte à avoir, rassure-t-il. Et il n'y aura aucune perte d'autonomie, d'autant que les missions des conseillers prévention sont, pour la première fois, clairement définies."

"Managers d'équipe"

De fait, le décret du 29 juin vient entériner une situation qui prévalait déjà dans une grande majorité des 35 caisses régionales de la MSA, où la prévention des risques et la médecine du travail étaient déjà placées sous l'autorité d'un même responsable hiérarchique, très souvent un médecin-chef. "La réforme n'est qu'une formalisation du travail collaboratif déjà à l'oeuvre, souligne Yves Cosset. Les conseillers en prévention sont, par leur formation, ergonomes ou ingénieurs en mécaniques agricoles. Les médecins du travail ont des compétences en risques psychosociaux ou en toxicologie. Chacun, par son parcours professionnel, enrichit l'autre." Selon lui, les futurs responsables devront être vus non pas comme des médecins, mais comme des "managers d'équipe", en charge de décliner les priorités fixées par la MSA en accord avec le plan ministériel pluriannuel de santé et sécurité au travail.

Reste que le décret ne concerne pas seulement les conseillers en prévention. Pour Philippe Nonie, "les médecins sous-estiment gravement l'impact de la réforme, y compris pour eux-mêmes". Une partie du temps consacré aux visites médicales devra être dédiée aux visites de terrain, au sein des entreprises et des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). "Et il leur faudra comprendre les processus de production et les relations entre les gens", prévient le conseiller en prévention, qui continue de participer aux négociations. Celles-ci se poursuivront jusqu'en décembre, au sein d'un groupe de travail interne à la MSA, pour une parution des circulaires d'application prévue en juin 2013.