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La santé au travail, nouvel enjeu de société

par Stéphane Vincent / octobre 2011

En 1991, l'amiante était encore une menace diffuse, dénoncée par certains cercles militants, mais largement occultée par celle du chômage. Il y a vingt ans, la souffrance psychique, les troubles musculo-squelettiques, les effets du vieillissement au travail étaient encore des sujets d'étude ou de discussion entre experts. Que de chemin parcouru depuis ! Le scandale lié aux dizaines de milliers de cancers professionnels de l'amiante et ses suites judiciaires ont changé la donne. La santé au travail est devenue une affaire d'Etat, et sa préservation un nouveau principe juridique placé au-dessus de la liberté d'entreprise. Les effets des mutations économiques de ces vingt dernières années sur le travail et la santé - des suicides à la pénibilité, en passant par l'intensification - et leur prévention sont aussi au coeur du débat public aujourd'hui. Avec une certitude : il est non seulement nécessaire mais aussi possible de transformer le travail, afin d'en faire un vecteur de santé et non de maladie.

La santé au travail : les points à retenir

octobre 2011

De nouveaux modes d'organisation du travail pathogènes

  • En vingt ans, le travail et la façon dont il est organisé ont beaucoup changé. Si certaines pénibilités classiques (bruit, travail à la chaîne) demeurent, les horaires atypiques (travail de nuit, du dimanche) se sont étendus et, surtout, le travail s'est intensifié. Les salariés doivent désormais faire des arbitrages permanents entre différentes tâches, avec de fortes contraintes de temps, tout en étant soumis à davantage de procédures.
  • Cette flexibilité sous contraintes imposée aux salariés a des effets sur leur santé. En réduisant les marges de manoeuvre et les capacités d'anticipation dont ils doivent disposer pour se préserver, elle les expose notamment à des troubles musculo-squelettiques et à une plus grande usure mentale et physique. Elle tend à exclure les salariés vieillissants.
  • En outre, le travail est de plus en plus organisé en fonction d'objectifs et de critères de gestion abstraits, déconnectés de l'activité réelle, jamais discutés et souvent incompatibles avec la réalisation d'un travail de qualité. Une source de conflits et de souffrance psychique.
  • La tendance récente à l'allongement de la durée du travail et de la vie professionnelle pourrait accroître les effets délétères de ces modes d'organisation du travail.

Des droits améliorés en matière de réparation et de prévention

  • L'affaire de l'amiante et les milliers d'actions judiciaires lancées par les victimes à partir de 1996 ont fait évoluer favorablement pour les salariés l'indemnisation des préjudices liés aux risques professionnels. Le 28 février 2002, en donnant une nouvelle définition de la faute inexcusable de l'employeur, la Cour de cassation a posé le principe d'une obligation de sécurité de résultat pesant sur ce dernier. Les multiples déclinaisons de cette jurisprudence ont bouleversé le régime de la réparation forfaitaire des accidents du travail et des maladies professionnelles et, surtout, leur prévention.
  • Désormais, le droit à la santé au travail surplombe tout, y compris le pouvoir de direction de l'employeur. Le juge est ainsi autorisé à suspendre une nouvelle organisation du travail, dès lors qu'il est démontré qu'elle est dangereuse pour la santé. Une évolution qui renforce considérablement le rôle et le pouvoir du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
  • Enfin, la réglementation en matière de prévention a été renforcée. Toutefois, plusieurs campagnes de contrôles ont montré très clairement la non-effectivité du droit. Et la sous-déclaration des maladies professionnelles reste la règle.

Connaissances et expertise approfondies

  • Le champ des connaissances en santé au travail a beaucoup progressé. Le ministère du Travail a lancé à partir de 1978 de grandes enquêtes régulières sur les conditions de travail et les expositions professionnelles.
  • L'Etat s'est aussi doté d'une capacité d'évaluation des risques indépendante des lobbys, avec la création de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), devenue depuis Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), et celle de l'Institut de veille sanitaire (InVS). Ce dernier a assuré un suivi épidémiologique des cancers professionnels et troubles musculo-squelettiques, permettant de mieux caractériser les populations concernées et l'ampleur du risque.
  • Enfin, du côté de la recherche, de grandes enquêtes sur les relations entre âge, conditions de travail et santé ont permis de cibler les environnements nuisibles du point de vue du vieillissement au travail. De nouvelles disciplines sont apparues, capables de mieux appréhender certains risques, comme la psychodynamique du travail pour la souffrance psychique ou l'ergotoxicologie pour les expositions toxiques.
  • En revanche, la toxicologie est devenue le parent pauvre de la recherche en santé au travail. Cette lacune entretient l'invisibilité des risques toxiques au travail.

Des pistes de prévention et des impasses

  • Après deux décennies d'épidémie de troubles musculo-squelettiques (TMS), il est désormais avéré qu'une démarche de prévention axée seulement sur l'aménagement du poste de travail ou des formations " gestes et postures " est inefficace, sans parler de la gymnastique et des massages... Les TMS sont multifactoriels et trouvent leur origine dans l'organisation du travail. Les prévenir nécessite d'en faire un enjeu stratégique, y compris pour le bon fonctionnement de l'entreprise, en redonnant des marges de manoeuvre aux salariés vis-à-vis de la gestion des contradictions ou des aléas inhérents à toute production.
  • Du côté de la souffrance au travail, là aussi, les ressorts d'une véritable prévention se trouvent non dans une " psychologisation " individualisée des difficultés du salarié, ni dans la reconnaissance d'un statut de victime d'un harcèlement, mais dans l'ouverture d'espaces collectifs de discussion sur le travail et tout ce qui empêche de le faire " bien ".
  • Enfin, la prévention de l'usure physique et psychique au travail ainsi que la nécessité de maintenir dans l'emploi des salariés vieillissants impliquent de réduire certaines contraintes, comme le travail dans l'urgence ou les horaires alternants, et de valoriser l'expérience des plus anciens.