Accident de service : une jurisprudence méconnue

par Christian Torres médecin du travail / avril 2015

Dans la fonction publique, c'est l'administration qui décide qu'un accident est imputable au service et ouvre donc droit à réparation. Mais elle ignore souvent les évolutions de la jurisprudence, favorables aux victimes. Petit rappel.

Lorsque la maladie d'un fonctionnaire provient d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, des dispositions statutaires, propres aux trois fonctions publiques (Etat, hospitalière et territoriale), lui permettent de conserver l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service. En outre, il a droit au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. De plus, la qualification d'accident de service peut ouvrir droit à une allocation temporaire d'invalidité en cas d'incapacité permanente d'au moins 10 % ou à une rente d'invalidité en cas d'incapacité permanente d'exercer ses fonctions. La reconnaissance, par l'administration, de ce qu'on appelle "l'imputabilité au service de l'accident" constitue donc un enjeu important pour la victime.

Pas de définition légale

Alors que le régime général de la Sécurité sociale définit précisément l'accident du travail, il n'existe pas, pour les fonctionnaires, de définition légale ou réglementaire de la notion d'accident de service. C'est une abondante jurisprudence administrative qui en a progressivement précisé les contours.

L'imputabilité au service d'un accident a longtemps exigé la réunion de trois éléments : l'action soudaine et violente d'une cause extérieure ; une lésion du corps humain ; enfin, la survenance dans l'exercice des fonctions ou à l'occasion de l'exercice de celles-ci. Si l'une ou l'autre de ces conditions n'était pas remplie, l'imputabilité n'était pas reconnue ; c'était notamment le cas lorsque la lésion n'était due ni à une cause extérieure, ni à un effort physique exceptionnel. L'intéressé devait apporter la preuve du lien de causalité entre le service et l'accident, celui-ci ne bénéficiant pas de la "présomption d'imputabilité" applicable à un accident du travail survenu à un salarié de droit privé.

Le Conseil d'Etat a eu l'occasion de revenir sur cette jurisprudence, en abandonnant les critères d'extériorité et traumatiques. Par exemple, un malaise survenu sur le lieu de travail pendant l'exercice de l'activité professionnelle est désormais susceptible d'être reconnu comme accident de service. En effet, le Conseil d'Etat considère, comme le stipule par exemple une décision du 15 juin 2012 (CE n° 348258), qu'"un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet accident du service, le caractère d'un accident de service". Il ressort de cette jurisprudence que les trois éléments constitutifs de l'accident de service sont le lieu, le temps et l'activité exercée. Cette notion d'accident survenu au temps et au lieu du service est assez large, puisqu'elle a été étendue aux événements qui se produisent sur le trajet domicile-travail ou lors d'une mission.

L'accident de trajet est ainsi reconnu comme imputable au service, à condition qu'il soit arrivé sur le parcours habituel de l'agent entre son domicile et son lieu de travail. La jurisprudence a évolué dans un sens favorable aux victimes, l'agent pouvant en effet justifier de la nécessité d'un détour : passage chez la nourrice, arrêt dans une boulangerie, détour pour effectuer des examens sanguins dans un laboratoire d'analyses médicales...

Acte de la vie courante en mission

Concernant l'accident pendant le temps d'une mission, l'évolution a été comparable à celle observée pour l'accident de service. Alors que la qualification d'accident de service était refusée aux accidents survenus en mission à l'occasion de l'accomplissement d'un acte de la vie courante, comme le repas ou la toilette, on a assisté à un revirement de la jurisprudence. Il s'agissait d'un inspecteur des services judiciaires résidant dans un hôtel proche du centre pénitentiaire qu'il était chargé d'inspecter. Le matin, il avait glissé dans la salle de bains de sa chambre d'hôtel et s'était blessé. Après constat médical, il avait demandé la reconnaissance de cet incident en accident de service. Ce que le ministère de la Justice, suivant l'avis de la commission de réforme, lui avait refusé. Le Conseil d'Etat, pour sa part, a considéré que tout accident survenu lorsqu'un agent public était en mission devait être regardé comme un accident de service, même s'il s'était produit à l'occasion d'un acte de la vie courante, sauf s'il avait eu lieu lors d'une interruption de cette mission pour des motifs personnels (CE n° 260786 du 3 décembre 2004). Il en a conclu que le cas examiné était bien un accident de service.

Plus récemment, le Conseil d'Etat est venu préciser les modalités de prise en charge d'une tentative de suicide sur le lieu de travail (CE n° 361820 du 16 juillet 2014). Un fonctionnaire qui avait tenté de mettre fin à ses jours a adressé à son administration une déclaration d'accident de service. Alors que la commission de réforme a reconnu qu'il existait un lien direct entre son acte et le travail, l'administration avait refusé de reconnaître l'imputabilité. Dans un premier temps, le tribunal administratif a considéré que le fonctionnaire devait apporter la preuve qu'il existait une relation directe, certaine et déterminante entre le travail et la tentative de suicide. Le Conseil d'Etat a confirmé que cette dernière répondait bien à la définition de l'accident de service parce qu'elle s'était déroulée sur le lieu de travail et durant les horaires de service, que le lien direct avait été reconnu par la commission de réforme et qu'il n'existait pas de circonstances particulières permettant de regarder cet événement comme détachable du service.

Pas de lien exclusif exigé

Il était habituellement admis que la maladie mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'accomplir son service devait être en lien direct et exclusif avec l'accident. Une exigence qu'a modifiée une décision du Conseil d'Etat (CE n° 353093 du 23 septembre 2013).

A la suite de deux accidents de service successifs, une fonctionnaire souffrait d'un syndrome dépressif réactionnel causé par les difficultés administratives auxquelles elle s'était heurtée pour retrouver un poste de travail adapté à son état de santé. Elle a demandé que son affection soit reconnue comme consécutive à ses accidents de service. Son administration lui a opposé un refus, au motif que cet état pathologique n'était pas directement et exclusivement lié au second accident. Le Conseil d'Etat, lui, a considéré que la maladie empêchant un fonctionnaire d'accomplir son service devait être en lien direct, mais non nécessairement exclusif, avec l'accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions. En conséquence, le syndrome dépressif a été reconnu comme accident de service.

Ainsi, nombre de refus de reconnaissance d'un accident de service ne sont pas justifiés, au regard d'une jurisprudence qui tend à rapprocher le régime des fonctionnaires de celui des salariés de droit privé. A présent, l'administration ne peut refuser l'imputabilité au service d'un accident survenu sur le lieu et durant les heures de travail qu'en établissant la preuve qu'une faute personnelle de l'agent est seule à l'origine dudit accident.