Agriculture : face aux pesticides, la prévention reste artisanale

par Milène Leroy / juillet 2010

Un récent colloque sur la prévention des risques liés aux pesticides montre que celle-ci repose encore trop souvent sur des outils et dispositifs inadaptés. La suppression du risque à la source se heurte également aux lobbies.

Quels risques professionnels liés à l'application de pesticides ? Peut-on travailler sans s'exposer ? " C'était le thème du colloque organisé le 6 mai dernier, à Paris, par l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), en collaboration avec d'autres organismes1 . Bonne nouvelle : pour la première fois, fournisseurs, chercheurs, représentants des pouvoirs publics, des institutions de prévention et des organisations syndicales étaient tous réunis. Mauvaise nouvelle : de nombreux constats énoncés au cours de cette journée ont mis en lumière les graves lacunes présentées par les dispositifs de prévention.

Ainsi, Pascal Etienne s'est dit " stupéfié, car aucune des présentations n'a abordé une donnée fondamentale : la suppression du risque à la source ". Ce responsable de la sous-direction des Conditions de travail, de la Santé et de la Sécurité au travail, à la direction générale du Travail (DGT), a rappelé qu'" il existe des méthodes alternatives de culture qui réduisent considérablement les utilisations de pesticides ". Tout aussi préoccupée, Isabelle Baldi, du laboratoire Santé, travail, environnement de l'université Bordeaux 2, a invité les participants à coordonner leurs actions. " Malgré toutes les initiatives conduites par les uns et les autres, nous restons dans l'artisanat ", a-t-elle relevé. Elle note néanmoins un progrès : " Désormais, il est acquis que les pesticides constituent un risque pour la santé. "

Dans un contexte d'utilisation intensive des pesticides, comment les agriculteurs peuvent-ils se protéger ? Pour Jean-Charles Bocquet, directeur général de l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP), lobby des fabricants de pesticides, il faut " se focaliser sur le comportement " des applicateurs de produits, afin d'améliorer " les bonnes pratiques ". Une approche contestée par Alain Garrigou, maître de conférences en ergonomie à Bordeaux : " Il faut arrêter de baser la prévention uniquement sur le changement de comportement de l'agriculteur. Ce sont tous les acteurs qui doivent changer de pratiques, à commencer par les concepteurs de produits et d'équipements. "

Equipements inadaptés

Ainsi, pour le chercheur bordelais, les cabines des tracteurs étanches présentent des performances " médiocres ". En témoignent les ouvertures ménagées pour laisser passer des câbles, l'absence d'essuie-glaces sur les portes latérales, ce qui contraint l'agriculteur à ouvrir grand sa porte pour conduire dès lors que les parois sont rendues opaques par les traitements qu'il est en train d'épandre... Sur ce point, la situation devrait s'améliorer, puisque " les machines d'application de pesticides et les tracteurs mis sur le marché depuis le 1er janvier dernier doivent être conformes aux exigences de la directive "machines", c'est-à-dire ne pas polluer les salariés qui les utilisent ", nuance Pascal Etienne.

L'efficacité des équipements de protection individuelle (EPI) - combinaisons, gants, masques - est elle aussi limitée, même si le ministère du Travail a mis de l'ordre dans leur classification. Ainsi, ils ne sont pas toujours étanches aux produits utilisés dans l'agriculture (voir " A lire "). Amandine Paillat, experte de l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), propose de faire mention, sur la notice d'instruction de chaque EPI, des produits chimiques pour lesquels il est recommandé. Enfin, pour Isabelle Baldi, des progrès sont à rechercher concernant les phases de travail sur les parcelles récemment traitées.

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    L'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), la Mutualité sociale agricole (MSA) et la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL).

En savoir plus
  • " Pesticides : mauvaises combinaisons ", Santé & Travail n° 69, janvier 2010, page 22.

  • Les documents présentés lors du colloque sont disponibles sur www.colloque-pesticides-anact.fr