© Nathanaël Mergui/FNMF

Prendre soin des aides à domicile

par Stéphane Vincent / janvier 2015

L'aide à domicile est un vrai métier, mais ce n'est pas reconnu. Au-delà des préjugés sexistes, car il s'agit de femmes, cela tient à la façon dont le secteur a été structuré : multiplicité d'employeurs et de statuts, conditions d'emploi dégradées, financement au plus juste et inadapté à la réalité des tâches... Sans oublier son intégration dans les services à la personne, effaçant ainsi les spécificités du métier. Or celui-ci est complexe. Les salariées doivent gérer au jour le jour l'évolution de l'état de santé de la personne aidée, l'intervention d'autres acteurs, les contraintes posées par le domicile comme lieu de travail... Le tout pour préserver l'autonomie de l'usager, en ne faisant pas à sa place mais en l'associant. Car il s'agit d'une relation d'aide, pas d'une prestation. Cette réalité n'est pas assez prise en compte. Ces femmes qui doivent prendre soin des autres sont malmenées dans leur travail, qu'elles tentent de préserver, parfois au prix de leur santé. Il est temps de reconnaître leur rôle et de créer les conditions pour qu'elles puissent aussi prendre soin d'elles. Des expériences montrent que c'est possible.

Aider les salariées à se protéger

par Fabienne Bardot médecin du travail / janvier 2015

Dans l'aide à domicile, le médecin du travail ne peut s'appuyer que sur les visites médicales pour jouer son rôle de préventeur. Avec un objectif : faciliter la réflexion des salariées sur leur pratique professionnelle afin d'ouvrir des pistes de protection.

Dans les métiers de l'aide à domicile, la prévention des risques professionnels ne peut s'appuyer sur une observation directe des situations de travail. Un écueil pour le médecin du travail. En effet, l'activité des auxiliaires de vie ne se déroule qu'au domicile des personnes qu'elles assistent, soit un lieu privé interdit d'accès au médecin. Qui plus est, les domiciles sont tellement dissemblables qu'il est proprement illusoire d'imaginer tirer de l'étude d'un seul une synthèse générique des multiples formes de pénibilité qui peuvent s'y déployer.

Pourtant, le médecin du travail doit pouvoir contourner cet obstacle pour tenir malgré tout son objectif de prévention, notamment vis-à-vis de la pénibilité du métier ou des facteurs psychosociaux de risque liés aux caractéristiques particulières des rapports sociaux entre les auxiliaires, leur hiérarchie et les personnes assistées.

C'est donc au cabinet médical, dans le cadre des visites périodiques, que le médecin doit arriver à obtenir des descriptions précises des difficultés rencontrées par ces travailleuses à domicile, concernant les pénibilités physiques, les effets du travail émotionnel, les dégoûts à affronter, les rapports sociaux de hiérarchie avec les bénéficiaires, les familles et l'encadrement ou les discriminations, car la couleur de la peau peut aussi influer sur les conditions de travail des auxiliaires de vie.

Déjà organiser des réunions de formation

Mais une fois obtenues ces descriptions, que peut en faire le médecin du travail ? Expliquer qu'il ne faut pas déplacer un réfrigérateur ou une gazinière pour nettoyer derrière, sous peine de risques pour la santé ? Ce type de conseil s'avère souvent vain quand il est donné à une aide à domicile solitaire, écartelée entre l'exigence du "bénéficiaire", la mission d'aide consistant à prendre soin de la personne et de son environnement et l'absence de description par la hiérarchie des actes à réaliser. Le rapport social est trop inégal.

Muni des connaissances cliniques accumulées lors des visites, le médecin du travail peut déjà proposer aux structures d'aide à domicile d'organiser des réunions de formation avec les personnels sur certains thèmes : la conduite à tenir en période caniculaire, l'agressivité des personnes âgées, etc. Il s'agit, en s'appuyant sur le thème traité, de provoquer un débat sur les pratiques professionnelles des auxiliaires confrontées à des situations délicates. Par exemple, le médecin peut poser des questions sur leur façon de s'y prendre face à un vieillard qui refuse une toilette. Et les réponses sortent facilement. Ainsi, les astuces mises en oeuvre par les unes peuvent aider les autres. Mais cela permet surtout de légitimer collectivement et publiquement des pratiques professionnelles de contournement ou de résistance protectrices. Avec l'appui des encadrantes.

Dans ce contexte, les auxiliaires de vie sont en mesure d'élaborer ensemble des pratiques de prévention, en s'assurant qu'elles peuvent, sans se mettre en danger, refuser de faire ce qui dépasse leur capacité : plus de matelas à soulever, de meubles à bouger, de nettoyage de plafond... Cela n'enlève rien à la pénibilité du ménage, des transferts, du rythme imposé pour faire le maximum dans le temps imparti. Mais, au moins, elles retrouvent une capacité de résistance au presque infaisable et une capacité à se protéger.

Lorsque le médecin n'a pas la possibilité de mettre en place une telle approche collective, son action préventive ne se construit qu'au travers des consultations individuelles. Il y interroge chaque salariée sur la façon dont elle peut faire remonter ses problèmes : "Avez-vous des réunions entre vous pour parler de toutes vos difficultés et de vos façons de vous en sortir ?", "Lorsque vous faites un signalement ou une demande "au bureau", le faites-vous par écrit ?" Le but est de faciliter la mise en visibilité des contraintes subies par la salariée, afin qu'elle puisse agir elle-même pour se protéger.

Le rôle central de l'encadrement

Au-delà, une investigation clinique individuelle très fouillée, avec des questions appropriées, peut aussi rendre intelligible à la salariée une situation pénible et subie (voir encadré). Transformer sa perception de ladite situation, c'est lui donner la possibilité de résister à ce qui lui est imposé en initiant un mouvement d'amélioration, tant du point de vue des contraintes de travail que des postures psychosociales.

Le refus d'être une "bonne à tout faire"

Virginia est auxiliaire de vie au sein d'une structure d'aide à domicile. Elle fait 30 heures par semaine, ce qui lui suffit, car les remplacements d'absences sont courants et chargent lourdement certaines semaines. De ce fait, les plannings ne sont connus qu'une semaine à l'avance. Les horaires décalés, fragmentés, irréguliers ont un impact sur sa vie privée. Néanmoins, Virginia aime bien ce travail de prise en charge globale d'une personne vulnérabilisée par la maladie ou par l'âge, avec son cortège de pertes d'autonomie.

En revanche, ce qu'elle réprouve, c'est d'être considérée comme une femme de ménage, une domestique qu'on utilise à merci. Son métier, c'est l'aide à la personne, dans son environnement. Certes, il y a le ménage, mais pas seulement. Elle est là pour aider à la toilette, au repassage, s'occuper de l'alimentation, faire les courses, un peu de cuisine, remplir les "papiers", faire prendre les médicaments préparés dans les piluliers par les infirmières, s'inquiéter de l'état moral de la personne, etc. Une relation d'aide, pas de domesticité. Une fois par mois, des réunions sont organisées entre auxiliaires de vie pour discuter de leurs difficultés, en présence de la direction. Il est question des plannings, des cas à suivre. On parle peu du travail lui-même. Pourtant, dit-elle, "j'en entends beaucoup qui disent être lassées". Question du médecin du travail : "Et si vous étiez plusieurs à dire que vous allez refuser de faire ce qui vous paraît de l'ordre d'un détournement de vos missions relevant du "prendre soin" vers une activité de "bonne à tout faire", il se passerait quoi ?" Pas de réponse. Mais cette question peut initier chez la salariée une réflexion sur sa situation, voire déclencher un début d'action de sa part ou en concertation avec d'autres.

Parallèlement, le médecin du travail peut également montrer aux encadrantes combien leur rôle est central, combien leur soutien matériel, via par exemple l'élaboration de directives écrites remises à toutes les auxiliaires sur ce qui est acceptable de faire ou de ne pas faire, constitue une aide et une protection. Lorsque les salariées ont les moyens de se protéger grâce à un bon cadrage opérationnel, des échanges professionnels et des marges d'autonomie approuvées, leur santé est relativement mieux protégée.

Il reste que, dans cette activité, la pénibilité et l'ambivalence des postures adoptées au travail ne peuvent être évitées. Ce métier de femmes mériterait une autre considération sociale, afin que celles qui l'exercent puissent en parler, l'élaborer, inventer et revendiquer sa transformation. Sans quoi on risque de réclamer inlassablement une prévention qui n'est et ne restera qu'une bonne intention.