© Nathanaël Mergui/FNMF
© Nathanaël Mergui/FNMF

Anne, une vie d'utopie créatrice

La rédaction
janvier 2018

Sans concession. Le 29 novembre, Anne Flottes a choisi de s'éteindre en Belgique, pays qui pratique l'euthanasie. Sa mort est à l'image de sa vie, décidée et digne. Pas question pour elle de se laisser enfermer par la maladie qui, jour après jour, réduisait ses capacités et ses marges de manoeuvre, la rendait prisonnière de son handicap. Et la privait petit à petit de l'usage de la parole. Impensable pour Anne.

Malgré la souffrance physique et surtout psychique, elle s'est accrochée à son objectif ultime : achever son livre Travail et utopie1 , paru en octobre. Ce qu'elle ne pouvait plus énoncer de sa voix douce, elle l'a écrit.

 

Ne pas tricher avec les mots

 

Dire qu'Anne va nous manquer au comité de rédaction de Santé & Travail, qu'elle avait rejoint en 2008, est en deçà de la vérité. Psychodynamicienne du travail, comme Dominique Dessors dont elle avait pris la suite, elle avait à coeur de ne pas tricher avec les mots et les concepts. Elle était exaspérée, par exemple, par l'affirmation récurrente selon laquelle les risques psychosociaux liés aux nouveaux modes d'organisation du travail provoqueraient une souffrance inconnue jusqu'alors. "Travailler, n'est-ce pas prendre un risque de souffrance et de plaisir ?, questionnait-elle malicieusement dans notre numéro d'octobre. Ce qui a changé, c'est qu'on ne pense plus la dimension politique du travail." Travailler autrement, sortir par le haut de la désespérance, fuir la victimisation des salarié(e)s : pendant de longs mois, Anne s'est employée à nous convaincre de rendre compte d'initiatives transformatrices. Cela donnera l'un de nos meilleurs dossiers, "Travail : et si on changeait tout ?", publié en octobre 2015.

Chez elle, le travail - le sien et celui des autres - occupait une place centrale. "On partait en vacances ensemble et on discutait travail", nous a confié son amie Lise Gaignard, psychanalyste, rencontrée dans le laboratoire de Christophe Dejours. Et pour la psychologue Pascale Molinier, qui a mené nombre d'enquêtes avec elle et a joué l'été dernier le rôle d'"accoucheuse" de son opus, "elle avait un amour de la réflexion intellectuelle sur le travail et un enthousiasme qui rendaient la collaboration fructueuse, joyeuse, simple". Médecin du travail, Christian Torres l'a vue à l'oeuvre du temps où elle était ergonome dans les entreprises ; il se souvient que "chaque fois qu'elle avait une mission, elle faisait un travail singulier, instruisait la question jusqu'au bout sans abaisser son engagement".

Ne pas abaisser, ne pas s'abaisser. Ce sont sans doute les mots qui collent le mieux à ce qu'Anne Flottes nous aura transmis au cours de ces années de collaboration à Santé & Travail. Avec elle, nous aurons grandi.

  • 1

    Travail et utopie. Réinventer des coopérations subversives, Editions d'une. Voir page 56 de ce numéro.