© Nathanaël Mergui/Mutualité française
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Après les ordonnances, plus dure sera la prévention

par Joëlle Maraschin / avril 2018

Suite à la publication des derniers décrets d'application et au vote de la loi de ratification par le Parlement, l'impact des ordonnances sur la prise en charge des questions de santé au travail se confirme. Ce sera plus difficile. Etat des lieux.

Il aura fallu moins d'un an pour réécrire le Code du travail. En dépit des dernières manifestations de l'automne et des amendements déposés lors des débats parlementaires, le texte de ratification des ordonnances sur le droit du travail a finalement été adopté le 14 février dernier par le Parlement. La saisine du Conseil constitutionnel par plus de 60 députés de gauche aura sans doute été le dernier baroud d'honneur de l'opposition. Dans un argumentaire de 42 pages, les parlementaires ont demandé aux sages de censurer de nombreuses dispositions des ordonnances, dont la plupart des articles relatifs à la santé au travail.

Arguant du droit à la protection de la santé pour les salariés, les élus ont dénoncé notamment la disparition du CHSCT, le cofinancement par le comité social et économique (CSE) des expertises pour modification importante des conditions de travail, la diminution des moyens pour les représentants du personnel, ou encore l'exclusion de quatre facteurs de risque du compte professionnel de prévention (C2P). Sans surprise, les sages n'ont pas retenu les arguments des députés requérants. Validées par le Conseil constitutionnel le 21 mars, les ordonnances ont désormais force de loi, alors qu'elles n'avaient jusqu'ici qu'une valeur réglementaire.

 

La représentation du personnel mise à mal

La mise en place d'un CSE est ainsi obligatoire pour toutes les entreprises de plus de 10 salariés et doit avoir lieu au plus tard le 1er janvier 2020, et ce, quelle que soit la durée des mandats en cours. Avec un premier constat : cette mise en place va entraîner une diminution conséquente du nombre d'élus du personnel. Des organisations syndicales ont chiffré entre 150 000 à 200 000 le nombre de mandats supprimés. Les heures de délégation diminuent elles aussi de façon sensible dans les entreprises de moins de 200 salariés, même si elles sont globalement conservées pour celles de taille plus importante. Par exemple, le futur CSE d'une entreprise de 50 à 74 salariés comprendra 4 élus titulaires disposant au total de 72 heures de délégation, contre 8 élus titulaires et 96 heures précédemment. Dans les entreprises de 100 à 124 salariés, le nombre d'heures de délégation diminue de près d'un tiers, passant de 175 à 126. En revanche, dans celles de 200 à 249 salariés, ce nombre passe de 210 à 220 heures, mais il n'y aura plus que 10 élus titulaires au lieu de 15.

Autre élément important, les suppléants ne siégeront plus aux réunions de CSE, sauf en cas d'absence du titulaire. Et la réglementation limite désormais le nombre de mandats consécutifs que peut occuper un salarié - pas plus de trois -, sauf dans les entreprises de moins de 50 salariés. Or les élus du CSE vont devoir traiter de nombreuses questions - des orientations stratégiques de l'entreprise aux évolutions de l'emploi, en passant par la défense des salariés -, et celles sur la santé au travail demandent du temps et de l'expérience. Certains observateurs craignent donc que les prérogatives des élus du CSE en matière de santé au travail, ne soient reléguées au second plan ou qu'ils n'aient plus les moyens suffisants pour les assumer. Maigre consolation, les parlementaires ont prévu une formation en santé, sécurité et conditions de travail financée par l'employeur pour tous les élus du comité.

 

Inaptitude : l'Ordre des médecins écrit au Premier ministre

Les ordonnances sur le droit du travail ont aussi apporté des modifications à la procédure de contestation, devant les prud'hommes,des avis d'inaptitude ou d'aptitude avec restrictions. Au grand dam des professionnels de la santé au travail. Aujourd'hui, un employeur engageant cette procédure peut en effet mandater un praticien, auquel le médecin du travail doit communiquer les éléments médicaux ayant fondé ses avis. Alerté sur le sujet, le Conseil national de l'ordre des médecins (Cnom) a adressé fin décembre un courrier au Premier ministre pour exprimer ses "plus expresses réserves" quant à cette mesure. Le Cnom rappelle que les professionnels de santé au travail doivent respecter le secret médical et s'interroge donc sur l'obligation qui leur est faite de transmettre des éléments du dossier d'un salarié. "En l'état, le Conseil national tend à conclure que les médecins ne sont pas tenus à une telle obligation de communication", prévient le président de l'Ordre. A notre connaissance, ce courrier n'a toujours pas reçu de réponse du gouvernement.

Reste la commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), obligatoire dans les entreprises de plus de 300 salariés ainsi que sur certains sites dangereux. Elle n'aura cependant pas de compétences consultatives propres et restera une émanation du CSE. Seul ce dernier pourra rendre un avis et décider ou non d'une expertise en santé et sécurité au travail. En outre, le fonctionnement de cette commission (missions, modalités d'organisation, moyens alloués...) n'est pas encadré par la loi et doit être défini par accord d'entreprise. S'agissant des expertises en santé et sécurité, en dehors d'un risque grave, elles seront financées à hauteur de 20 % par le CSE sur son budget de fonctionnement. En cas d'insuffisance de ce budget, un financement intégral par l'employeur reste possible, mais sous conditions.

 

Pénibilité à géométrie variable

Du côté du nouveau compte professionnel de prévention (C2P), rien n'a beaucoup bougé non plus. Pour les quatre facteurs de risque aujourd'hui exclus du dispositif "pénibilité"- manutention de charges, postures pénibles, vibrations mécaniques et agents chimiques dangereux -, seuls les salariés victimes d'une maladie professionnelle reconnue pourront bénéficier d'un départ anticipé. Ce basculement vers une simple logique de réparation a été critiqué. En compensation, les textes prévoient bien l'obligation de négocier un accord ou un plan d'action sur la prévention de la pénibilité. Mais les conditions diffèrent selon les facteurs de risque pris en compte et sont difficiles à réunir.

Un accord doit ainsi être négocié dès lors que 25 % des effectifs sont exposés à l'un ou plusieurs des six facteurs de risque du C2P. A défaut, l'obligation de négociation ne pèse que sur les entreprises présentant un indice de sinistralité supérieur à 0,25. Celui-ci correspond au rapport entre le nombre total d'accidents du travail (AT) et de maladies professionnelles (MP) imputables à l'entreprise, hors accidents de trajet, et son effectif, calculé sur les trois dernières années. Une entreprise de 1 000 salariés ne sera ainsi concernée que si elle se voit imputer au moins 250 AT ou MP sur trois ans. Cela représente très peu d'entreprises. A titre d'exemple, dans le BTP, l'indice de fréquence des AT était en 2016 de 60 accidents pour 1 000 salariés. Sachant qu'il y a beaucoup moins de MP déclarées.

Enfin, la commission mixte paritaire du Parlement a voté un amendement permettant d'imposer le forfait jours dans le cadre d'un accord d'entreprise dit "de performance collective". En cas de refus du salarié, celui-ci pourra être licencié. Cette dérégulation du temps de travail, décidée sans crier gare et susceptible de dégrader la santé des salariés, a été fortement contestée par la CGT et la CFE-CGC.