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Managers au bord de la crise de nerfs

par Stéphane Vincent / juillet 2017

Cheville ouvrière des organisations dans le privé et le public, l'encadrant de proximité n'est pas épargné par l'intensification et la rationalisation du travail. Après tout, c'est un salarié. Mais pas comme les autres. Il doit en effet jouer ce rôle d'interface entre le haut, la direction, et le bas, son équipe. Faire appliquer des consignes conçues de plus en plus souvent loin du terrain, tout en apportant le soutien nécessaire à ceux qui doivent les appliquer. Etre auprès de ses troupes et à de multiples réunions, tout en devant renseigner les indicateurs de gestion. Préserver la santé de ses collaborateurs, tout en s'assurant de l'atteinte des objectifs fixés par l'entreprise. Autant d'injonctions qui peuvent s'avérer contradictoires, transformant le travail quotidien de régulation des encadrants, complexe mais riche de sens, en une médiation impossible. Nombre d'entre eux ont ainsi le sentiment de manager par défaut, de faire un travail de mauvaise qualité. En devant parfois rogner sur leur vie privée... ou leur santé physique et psychique. Certains ont une solution : libérer l'entreprise de tout encadrement. Un raccourci qui occulte l'importance du travail réalisé par ce dernier et que les salariés auront à gérer s'il n'existe plus. Il devient donc urgent de se pencher sur la situation des managers, car les difficultés qu'ils affrontent ont des répercussions sur les salariés et leur prévention serait bénéfique à tous.

Les cadres hospitaliers happés par le "lean"

par Anne-Marie Boulet / juillet 2017

Le lean management a envahi l'hôpital. Cette méthode visant à réduire les gaspillages touche la gestion des blocs opératoires comme celle des lits ou des personnels. Rationaliser les moyens de structures déjà en souffrance nécessite un encadrement motivé. Dès 1995, fini donc les encadrants choisis pour leur seule compétence en matière de soins. Les cadres infirmiers, piliers des services, deviennent cadres de santé. "En 1998, à l'Ecole des cadres, on nous expliquait que nous devions être capables de travailler aussi bien à l'hôpital que chez Coca-Cola !", se souvient Laurent Laporte, membre du bureau de l'Union fédérale des médecins, ingénieurs, cadres et techniciens (Ufmict) CGT. Parallèlement, la formation s'ouvre aux professions paramédicales des hôpitaux : kinésithérapeutes, manipulateurs radio, etc.

"Etre experts dans la conduite des changements tout en stimulant l'amélioration qualitative, tel est le challenge des cadres de santé", explique Sophie Divay, maîtresse de conférences en sociologie et intervenante en instituts de formation des cadres de santé (IFCS). Car l'hôpital, c'est le changement perpétuel. "Les conditions de travail sont donc de plus en plus complexes", estime la chercheuse. Réunions et gestion des plannings plombent la majeure partie de l'emploi du temps d'un cadre de santé. Avec des effectifs a minima, il faut pourvoir quotidiennement à des remplacements. L'absentéisme devient problématique.

Désertion. "On passe plusieurs heures à enquiquiner les agents qui ne sont pas en poste, en leur demandant parfois de renoncer à leur RTT pour combler les trous", raconte Laurent Laporte. Aux Hôpitaux de Paris (AP-HP), les infirmières sont informées sur leur mobile de leurs changements de planning. Résultat : stress à tous les étages. Face à ces contraintes, la fonction de cadre n'attire plus assez. La hiérarchie recourt alors à des soignants et personnels paramédicaux faisant "office de". "Ces personnes vont avoir, durant un an ou deux, la fonction sans en avoir le salaire, puisqu'elles n'ont pas le diplôme. C'est un enrôlement de pseudo-volontaires", analyse Sophie Divay.

Certains directeurs d'hôpitaux poussent encore plus loin les économies en rattachant un cadre à deux unités ou sites distincts. "En Gironde, j'étais sur deux structures, distantes de 50 kilomètres l'une de l'autre, témoigne Laurent Laporte. On est dans l'approximation permanente. C'est insatisfaisant au possible." Ce mal-être des encadrants, Denis Garnier, en charge des questions de santé au travail à la Fédération FO santé, l'observe lui aussi. "Ils n'ont pas de latitude et ne peuvent plus répondre aux attentes des équipes", déplore-t-il.