"Centrer la prévention sur les organisations du travail"

par Nathalie Quéruel / octobre 2013

L'enquête Sumer de 2010 montre une moindre exposition des salariés aux cancérogènes et une légère augmentation des risques psychosociaux. Thomas Coutrot, du ministère du Travail, en tire les conséquences pour la prévention.

Les résultats de l'édition 2010 de l'enquête Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels (Sumer) ont été présentés lors d'un colloque, le 19 septembre. Quels en sont les principaux enseignements ?

Thomas Coutrot : Le point positif est la diminution du nombre de salariés exposés au risque chimique, la proportion passant de 37 % en 2003 à 34 %, après une hausse entre 1994 et 2003. Cela tient à la réduction des expositions aux produits les plus dangereux, les cancérogènes. Concernant la pénibilité physique, la stabilité des chiffres prévaut, alors que les risques psychosociaux et organisationnels ont plutôt augmenté. Les salariés ont été interrogés entre 2009 et 2010, au début de la crise. Mais il ne semble pas que l'intensité du travail ait reculé dans les secteurs les plus touchés par la récession

L'édition 2010 a-t-elle révélé des éléments surprenants ?

T. C. : La situation des salariés en contact avec le public s'est améliorée : la proportion de ceux qui vivent des tensions est passée de 10 % à 8 % par rapport à l'enquête de 2003, celle des personnes ayant subi des agressions de 16 % à 13 %. Une certaine stabilité dans les organisations du travail explique cette baisse. Les dysfonctionnements liés aux innovations organisationnelles ont été moins nombreux, permettant aux salariés de mieux anticiper les aléas ; leur rapport avec le public s'en est trouvé facilité. En revanche, la part de ceux qui subissent des comportements hostiles au sein du collectif de travail augmente de 17 % à 22 %. Ce qui est paradoxal, c'est que davantage de salariés déclarent, dans le même temps, avoir les moyens pour effectuer un travail de qualité. D'autres facteurs entrent sans doute en jeu, comme la dégradation du sentiment de reconnaissance par l'entreprise ou la hiérarchie. Un déni de reconnaissance du travail est signalé par 12 % des hommes, contre 11 % des femmes. Les dysfonctionnements de l'organisation du travail débouchent sur des situations difficiles qui sont vécues différemment par les femmes et les hommes, les premières les voyant comme une atteinte à leur identité personnelle, les seconds comme une atteinte à leur identité professionnelle.

Des pistes d'action pour la prévention se dégagent-elles de ces constats ?

T. C. : Concernant les risques chimiques, les politiques de prévention ont une certaine efficacité. Notons toutefois que les équipements individuels se sont davantage développés que les protections collectives, qui sont plus efficaces mais demandent des investissements plus coûteux. C'est dans cette direction qu'il faudrait travailler désormais. Nous n'observons pas encore de lien entre la baisse de ces expositions et l'amélioration de la santé des salariés, car les effets se mesurent à long terme. Ce qui joue à court terme sur leur santé, ce sont surtout les risques psychosociaux. La priorité de l'action devrait donc se centrer sur les organisations du travail, ce qui apparaît plus difficile que de pourvoir les travailleurs en masques et gants. Un aspect mérite attention : ceux qui bénéficient d'un entretien d'évaluation se disent en moyenne plutôt plus satisfaits de leur travail, mais pour un quart d'entre eux, les entretiens sont menés sans critères objectifs, conduisant à une évaluation arbitraire et à des situations de travail dégradées. Il serait nécessaire de renforcer la légitimité des méthodes d'évaluation.