© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

Le Coct se rebiffe sur la réforme de la santé au travail

par Nathalie Quéruel / juillet 2019

Réunis au sein du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct), les partenaires sociaux planchent sur la réforme de la santé au travail. Mais une mission analogue a été confiée à trois experts par l'exécutif. D'où des frictions.

Les organisations syndicales et patronales font parfois cause commune rapidement. En témoigne la lettre que les partenaires sociaux siégeant au groupe permanent du Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct) ont envoyée le 23 mai dernier à la ministre du Travail. Alors qu'ils se réunissent chaque semaine depuis mars afin de réfléchir sur la réforme de la santé au travail, ils ont appris incidemment qu'une mission a été mise en orbite courant avril par l'exécutif. Celle-ci a été confiée à Hervé Lanouzière, l'une des chevilles ouvrières du rapport Lecocq sur l'organisation du système de prévention des risques professionnels, Stéphane Seiller, coauteur du rapport sur l'indemnisation des arrêts maladie, et Christian Expert, médecin du travail et syndicaliste CFE-CGC. "Au début de nos travaux, le gouvernement nous a proposé une mission d'appui avec ces trois personnalités, relate Tony Fraquelli, conseiller confédéral CGT en charge de l'activité travail-santé. Nous avons suggéré d'autres noms, dont celui de Frédéric Laloue, ancien secrétaire général du Coct. Mais notre demande est restée sans suite."

"Orientations très directives"

Au-delà de la réapparition du trio, la fiche qui définit sa mission a suscité des inquiétudes chez les partenaires sociaux, dont ils font part dans leur courrier : "Nous y avonsdécouvert des orientations très directives visant, notamment à la mise en oeuvre d'un scénario cible déjà préarbitré mais aussi à des choix prédéfinis." Les points sur lesquels doivent se pencher les trois experts sont en effet précis, selon la feuille de route que Santé & Travail a pu consulter. Il s'agit, par exemple, de "définir le contenu et les modalités de l'offre de services en matière de prévention et de santé au travail", d'"étudier l'impact d'une nouvelle organisation sur celle de la branche AT-MP [la branche accidents du travail-maladies professionnelles de l'Assurance maladie, NDLR] et son rôle de gestion du risque", de réfléchir à "la simplification et l'adaptation de certains aspects de la réglementation en matière de santé et de sécurité au travail" et à "la possibilité d'ouvrir de nouveaux champs au dialogue social d'entreprise et/ou de branche".

"Lire cet ordre de mission revient à faire apparaître le rapport Lecocq en fond d'écran", ironise un syndicaliste Pour Catherine Pinchaut, secrétaire nationale en charge des questions du travail à la CFDT, aborder la simplification réglementaire, c'est déjà faire un choix politique. De plus, souligne-t-elle, "la mission planche sur des sujets dont nous n'avons pas été saisis, comme la place des services autonomes de médecine du travail, alors que nous avons tous des propositions à émettre en la matière. Dès lors, quelle est l'utilité de notre travail, comment s'articule-t-il avec celui des experts du gouvernement ? Nous n'avons pas pour l'heure de réponse."

Des travaux complémentaires ?

Selon Christian Expert, les prérogatives de chacun sont pourtant complémentaires : "Aux partenaires sociaux de décider ce qui, dans la réforme, doit relever de la négociation interprofessionnelle ou de la concertation avec l'Etat. A nous de traduire en solutions concrètes les orientations du rapport Lecocq, d'identifier les obstacles techniques ou juridiques, de faire des propositions d'écriture réglementaire. L'exécutif décidera ensuite." Mais pour Tony Fraquelli, réduire la mission à un "apport technique et juridique" s'apparente à un tour de passe-passe pour court-circuiter les partenaires sociaux.

Leur lettre n'est d'ailleurs sans doute pas pour rien dans l'audition impromptue des trois experts par le Coct le 14 juin, date à laquelle les organisations syndicales et patronales devaient initialement achever leurs travaux. Sachant qu'une position commune est encore loin d'être trouvée, la CFE-CGC ayant décidé d'envoyer ses propres conclusions. La date butoir est reportée à la mi-juillet pour les membres du Coct, tandis que l'échéance de la mission a été fixée à fin 2019.