Code du travail  : vers une politique plus répressive ?

par François Desriaux / juillet 2009

Comment faire mieux appliquer le Code du travail, notamment dans le domaine de l'hygiène et de la sécurité ? Jean-Denis Combrexelle, directeur général du Travail, et Nathalie Ferré, juriste, débattent sans tabou d'une politique plus répressive.

La campagne de contrôle des expositions des salariés aux poussières de bois a montré que la réglementation était insuffisamment appliquée1 . Ce bilan est analogue à celui dressé à l'issue d'autres campagnes de contrôle réalisées par le ministère du Travail. Peut-on considérer qu'il y a un problème majeur d'effectivité du droit en santé au travail ?

Jean-Denis Combrexelle : L'effectivité du droit du travail est une priorité du ministère du Travail. Notamment vis-à-vis des dispositions assurant la santé et la sécurité des salariés. J'en veux pour preuve le plan de modernisation de l'Inspection du travail que nous avons adopté pour renforcer les moyens quantitatifs et qualitatifs de ce corps de contrôle, le deuxième plan santé-travail sur lequel nous travaillons dès à présent, les cinq campagnes de contrôle de la réglementation menées sur les chantiers de désamiantage et sur les expositions aux produits CMR [cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques, NDLR], ainsi que celle sur les poussières de bois.

Les résultats de cette dernière campagne sont contrastés. Par exemple, si seulement 34 % des entreprises ont pris en compte le risque cancérogène dans leur document unique d'évaluation des risques, en revanche, les lieux de travail sont organisés de façon à limiter l'exposition aux poussières dans 60 % des établissements et l'équipement en dispositifs d'aspiration est présent pratiquement dans toutes les entreprises (86 %). Ces résultats prouvent avant tout que l'effectivité du droit passe par la combinaison de plusieurs modes d'action : le contrôle et la sanction quand cela est nécessaire, mais surtout une meilleure information et sensibilisation des entreprises - je pense aux plus petites - et de leurs organisations professionnelles. Dans ce dispositif, le rôle de veille et d'alerte des médecins du travail est bien sûr déterminant par rapport à ces priorités de santé publique.

Nathalie Ferré : La question de l'effectivité du droit se pose de façon récurrente en droit du travail, et pas seulement dans le champ de la santé au travail. D'autres domaines également sensibles sont touchés, comme le droit des étrangers.

Dans le champ de la santé au travail, on peut en premier lieu regretter que cette question n'ait pas été plus tôt considérée comme faisant partie intégrante des préoccupations de santé publique. Il a fallu attendre que les directives communautaires bousculent le droit français pour que celui-ci rattrape certains retards, notamment en matière d'évaluation des risques. D'autres explications sont également à prendre en considération, comme certains comportements individuels de défi à l'égard de la norme, certaines attitudes désinvoltes, telles que la prédominance des logiques économiques sur les logiques sociales ou, plus simplement, la méconnaissance de la réglementation, notamment dans les petites entreprises.

Lors de l'installation du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct)2 , Brice Hortefeux, alors ministre du Travail, a estimé qu'on devait réaliser pour les risques professionnels les mêmes progrès que ceux accomplis pour les accidents de la route. Pour ce faire, doit-on adopter à l'égard des entreprises une politique plus répressive, à l'instar de la prévention routière ?

N. F. : Je ne crois pas qu'on puisse transposer ce qui a été fait dans le domaine de la prévention routière au monde du travail. Sauf, peut-être, sur un point capital : la sanction et le risque pénal doivent rester crédibles. Pour le reste, il faut commencer par s'interroger sur les pratiques de l'Inspection du travail et voir avec les agents quelle perception ils ont de leur rôle. Sans doute faut-il revenir sur des évolutions de leur mission première, qui a peut-être muté au fil du temps. Ce sont d'abord des agents de contrôle, et ils ne doivent pas hésiter à mettre en oeuvre les moyens contraignants dont ils disposent, comme l'arrêt de chantier, la fermeture d'atelier et, bien sûr, la verbalisation. Songez qu'il n'y a eu que 24 saisines du juge des référés par l'Inspection en 2007 ! Je pense que le législateur devrait étendre le pouvoir de l'Inspection d'arrêter des travaux, quelle que soit la cause du danger, comme c'est le cas au Québec. Actuellement, cette procédure est réservée à certains risques spécifiques.

Ensuite, il serait opportun d'activer plus souvent la mise en cause de la responsabilité pénale, même en l'absence de pathologies avérées, comme le permet aujourd'hui le délit de mise en danger de la vie d'autrui. Mais parce qu'il est difficile de mettre un gendarme derrière chaque chef d'entreprise, sans doute ce champ devrait-il être davantage investi par les organisations syndicales, comme elles l'ont fait autrefois pour les accidents du travail.

Enfin, il faut réexaminer le quantum des peines. Une amende de quelques centaines d'euros - rarement quelques milliers - pour sanctionner des violations importantes de la réglementation, qui peuvent entraîner des risques graves pour les salariés, ce n'est pas fait pour convaincre les contrôleurs et les inspecteurs du travail d'agir.

J.-D. C. : L'analogie employée par le ministre lors de l'installation du Coct traduisait une volonté politique forte dans le champ de la santé au travail. Comme en matière de sécurité routière, les pouvoirs publics entendent, d'une part, fixer des objectifs précis, concrets et ambitieux et, d'autre part, mettre en place les indicateurs et les moyens correspondants. Il faut avoir, dans ces matières, une culture du résultat. D'une certaine façon, lorsque le juge parle d'obligation de sécurité de résultat, il traduit une attente sociale et une règle juridique.

S'agissant de l'action de l'Inspection du travail, arrêtons de la caricaturer, même s'il existe encore des marges de progrès. Les travaux du Conseil des hauts responsables de l'Inspection du travail à l'échelle européenne indiquent que les actions de contrôle dans notre pays représentent plus du tiers des actions communautaires. Le rapport annuel de l'Inspection en France indique qu'il y a eu 5 000 arrêts de chantier en 2007.

Mais tout ne doit pas passer par la sanction et le contrôle. Par exemple, les risques psychosociaux et les troubles musculo-squelettiques impliquent toute une panoplie d'actions visant l'organisation des milieux de travail. Même sur un sujet tel que la traçabilité des expositions professionnelles à des CMR, on voit bien dans le rapport Lejeune3 qu'on ne peut pas résumer l'action à mener à un quantum de sanctions. Il faut aussi développer un savoir-faire collectif.

Si on reste dans la métaphore routière, l'effectivité, c'est tout à la fois le gendarme et le radar, mais aussi Bison futé pour que les acteurs sachent quelle route prendre, et enfin les grandes campagnes nationales pour qu'ils prennent mieux conscience de leurs responsabilités respectives.

Ne faut-il pas marier une politique plus dissuasive avec des incitations et des aides, notamment en direction des PME ?

J.-D. C. : Les conférences tripartites de 2007 et 2008 sur les conditions de travail ont montré que de nombreux outils d'incitation et d'aide sont déjà disponibles, mais que l'accès effectif des TPE-PME à ces dispositifs reste un enjeu majeur. C'est pour tenir compte de cette réalité que nous avons réformé le Fonds d'amélioration des conditions de travail (Fact), dont la gestion a été transférée à l'Anact [Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail, NDLR], de façon à être plus proche des petites entreprises.

Mais au-delà, le levier principal sera la prise de conscience que la santé au travail est non seulement un enjeu social, mais aussi un enjeu de compétitivité économique pour les entreprises. La santé au travail doit être un investissement, y compris et peut-être surtout en période de crise. Quand on parle de modèle social européen, c'est peut-être là la marque de fabrique de l'Europe que d'investir dans la qualité de l'emploi.

N. F. : Même s'il ne s'agit pas d'apporter une réponse exclusivement répressive, il ne faudrait pas mettre les PME à l'écart de la réglementation. Quelle que soit la taille de leur entreprise, les salariés ont droit de travailler dans un espace qui préserve leur santé et leur sécurité. Certaines aides sont déjà en place et des soutiens peuvent notamment être apportés aux PME par les agents de prévention des caisses régionales d'assurance maladie. Je suis favorable à un meilleur accompagnement des PME dans la mise en oeuvre des mesures préventives, plutôt qu'à des aides financières supplémentaires. Il n'est pas rare que, dans le champ des relations du travail, certaines aides soient détournées de leurs objectifs.

Plutôt que des campagnes de contrôle, ponctuelles, ne peut-on pas imaginer des actions plus soutenues dans la durée et coordonnées avec les parquets ?

N. F. : Les campagnes de contrôle ont leur utilité : elles permettent d'avoir un état des lieux sur la façon dont les normes sont comprises ou remplacées par des pratiques " hors la loi ". Cela permet de saisir des difficultés. Certaines actions ciblées dans des directions départementales du Travail, comme les campagnes de substitution des produits CMR, ont parfois curieusement marché. En revanche, il paraît indispensable de mieux coordonner les actions de l'Inspection du travail avec celles des parquets. Les agents de contrôle ne sont pas systématiquement informés, par exemple, des suites données à leur procès-verbal. Ils doivent aller chercher l'information. Pour que la procédure de mise en condamnation puisse aboutir, il faut que leur investissement soit total : après avoir mis de longues heures à élaborer le P.-V., qui fait lui-même suite à un long processus (visites de l'entreprise, courriers à l'employeur...), l'agent doit accompagner la procédure.

Les parquets sont, pour une très large part, insuffisamment sensibilisés à la nécessité de réprimer les infractions à la réglementation santé et sécurité au travail, en particulier en l'absence de victimes. L'existence de quelques procès pénaux dans le champ des maladies professionnelles, et notamment des cancers, constitue un enjeu important pour l'avenir. Là encore, il ne s'agit pas de dire que le " tout répressif " va régler l'ensemble des problèmes ; simplement, c'est un facteur que je crois important pour améliorer la prévention de certaines pathologies professionnelles.

J. D.-C. : Les relations entre les parquets et les services de contrôle sont en effet essentielles, tout comme l'est la remontée, auprès des agents, d'informations sur les suites pénales données à leurs procès-verbaux. C'est pour cela que la direction générale du Travail travaille actuellement, avec ses services déconcentrés, à l'élaboration d'un observatoire des suites pénales. Mais je ne suis pas d'accord pour résumer l'action de l'Inspection du travail à des campagnes de contrôle. Il y a des actions permanentes pour lesquelles des priorités nationales et régionales sont définies. Elles doivent s'inscrire dans le temps, échapper à l'effet de mode médiatique et à la communication. C'est vrai du contrôle, mais aussi des politiques de prévention des entreprises et des branches.

  • 1

    Voir notre article page 14.

  • 2

    Voir notre article page 16.

  • 3

    La traçabilité des expositions professionnelles, rapport de l'Inspection générale des affaires sociales établi par Daniel Lejeune et remis en octobre 2008. Voir Santé & Travail n° 65, page 28.