Colloque : pour l'interdiction mondiale de l'amiante

par Joëlle Maraschin / janvier 2013

Toujours produit et utilisé dans de nombreux pays, l'amiante continue à tuer. Lors d'une journée internationale des victimes organisée à Paris en octobre dernier, scientifiques et associations ont plaidé pour son interdiction dans le monde entier.

L'amiante demeure un risque majeur à l'échelle mondiale. Le 12 octobre dernier, à l'initiative de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante (Andeva), des scientifiques, politiques, juristes, victimes et militants associatifs de nombreux pays se sont retrouvés en France, afin de faire le point sur la situation lors d'un colloque. Organisé au palais du Luxembourg, à Paris, cet événement a rassemblé près de 250 participants, avec un objectif : poser les jalons d'une mobilisation internationale pour l'interdiction de la fibre mortelle à l'échelle de la planète. Aujourd'hui, 70 % des pays n'ont toujours pas interdit l'amiante. Au moins 125 millions de personnes dans le monde sont encore exposées professionnellement à l'amiante, sans compter les expositions environnementales ou domestiques. "Il est important de ne plus se taire : nous sommes aujourd'hui face à une pandémie mondiale de maladies dues à l'amiante", a déclaré Richard Lemen, épidémiologiste à l'université Emory d'Atlanta, aux Etats-Unis.

D'après les dernières données de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), portant sur 83 pays, plus de 92 000 personnes dans le monde meurent chaque année d'un cancer du poumon, d'un mésothéliome (cancer de la plèvre) ou d'une asbestose (fibrose pulmonaire) provoqués par l'amiante. A titre de comparaison, la pandémie mondiale de grippe H1N1 a été responsable de 14 000 décès. Les mésothéliomes et les cancers du poumon sont les deux cancers les plus fréquents, avec respectivement 43 000 et 39 000 décès annuels. Les épidémiologistes estiment néanmoins que l'hécatombe due à l'amiante est supérieure aux évaluations de l'OMS. "Nous ne voyons que la partie émergée de l'iceberg, la plupart des maladies dues à l'amiante ne sont pas reconnues", a précisé Richard Lemen. En 2012, le Centre international de recherche sur le cancer a révélé que l'amiante sous toutes ses formes - chrysotile (amiante blanc) et amphibole (amiante bleu ou brun) - était un produit cancérogène responsable de mésothéliomes et de cancers du poumon, mais aussi de cancers du larynx et des ovaires. L'exposition à l'amiante est par ailleurs associée à une augmentation du risque de cancer colorectal, du pharynx ou de l'estomac. Le nombre de décès dus à l'amiante serait ainsi bien supérieur si les études retenaient l'ensemble de ces localisations de cancers.

Plus de 2 millions de tonnes en circulation en 2011

La situation est d'autant plus alarmante que la production et la consommation d'amiante dans le monde restent massives. "Nous avons recensé 35 pays gros consommateurs d'amiante, c'est-à-dire en consommant au moins 500 tonnes par an", a indiqué Laurie Kazan-Allen, fondatrice de l'association International Ban Asbestos Secretariat (Ibas) au Royaume-Uni. En dépit des interdictions de plus en plus nombreuses de l'amiante dans les pays riches, le commerce de la fibre mortelle s'est perpétué en s'adaptant. D'après les données de l'US Geological Survey, institut des études géologiques aux Etats-Unis, plus de 2 millions de tonnes d'amiante ont été produites et utilisées dans le monde au cours de l'année 2011. La production d'amiante est aujourd'hui concentrée dans cinq pays : la Russie (49 %, soit 1 million de tonnes produites), la Chine (21 %), le Brésil (15 %), le Kazakhstan (11 %) et le Canada (2,5 %). La consommation est surtout importante en Asie (Chine, Inde, Indonésie, Malaisie, Thaïlande, Viêtnam...), en Russie et au Kazakhstan, ainsi que dans certains pays d'Amérique latine (Brésil, Colombie et Mexique). Les cinq plus gros consommateurs d'amiante sont la Chine (plus de 600 000 tonnes en 2011), l'Inde, la Russie, le Brésil et le Kazakhstan.

Si un pays comme le Canada, producteur historique, a cessé d'utiliser l'amiante sur son propre territoire, il a néanmoins continué pendant des années à exporter la fibre vers des pays moins sensibilisés aux risques sanitaires. "La propagande de désinformation orchestrée par le lobby industriel canadien a consisté à dire que l'amiante chrysotile pouvait être utilisé en toute sécurité", a expliqué Kathleen Ruff, de l'association RightOnCanada. Les études ont pourtant montré que les fibres de chrysotile sont tout aussi toxiques que les autres types d'amiante. L'exploitation de la plupart des mines d'amiante a été récemment abandonnée au Canada, faute d'investissement des banques dans une aventure industrielle plus que douteuse. En juin dernier, le précédent gouvernement québécois a cependant annoncé un "prêt" public de 58 millions de dollars pour relancer l'exploitation d'une importante mine, dont la production devait être exportée vers l'Inde. Face au tollé provoqué par cette annonce, le nouveau gouvernement du Québec a promis d'abandonner le projet. "C'est une victoire, mais la bataille contre l'amiante n'est pas pour autant gagnée", a commenté Daniel Green, coprésident de la Société pour vaincre la pollution, au Québec.

Mobilisation au Brésil

Au Brésil, les industriels avancent les mêmes arguments mensongers sur la prétendue innocuité du chrysotile pour promouvoir son utilisation. Ce pays, troisième producteur et deuxième exportateur d'amiante dans le monde, fait aussi partie des plus gros consommateurs. En 2011, près de 200 000 tonnes d'amiante ont été utilisées dans le pays. "Le puissant lobby industriel de l'amiante au Brésil, un poulpe aux multiples tentacules, finance des campagnes électorales, des syndicats et même des sociétés savantes", s'est indignée Fernanda Giannasi, inspectrice du travail brésilienne et fondatrice de l'association de victimes de l'amiante Abrea. Les travailleurs manipulent la fibre cancérogène sans protection et sans information sur les risques qu'ils encourent. Il en est de même pour la population brésilienne, fortement exposée. "Près de 60 % des cas de mésothéliome sont dus à des expositions non professionnelles", a confirmé Hermano Castro, pneumologue à Rio de Janeiro. Militants associatifs, victimes et scientifiques se sont regroupés pour dénoncer ce scandale sanitaire. L'interdiction de l'amiante est toujours en discussion devant le Suprême Tribunal, la plus haute cour de justice du pays.

S'agissant du continent asiatique, où la consommation annuelle d'amiante dépasse le million de tonnes, plusieurs actions sont également en cours. Le Japon et la Corée du Sud sont pour l'instant les seuls pays d'Asie du Sud-Est à avoir interdit l'amiante. En Inde, les syndicats ont pris la mesure du danger et se mobilisent. Quelques rares procès ont été intentés par des victimes ou leurs familles. La Thaïlande, la Malaisie et les Philippines s'acheminent également vers l'interdiction. "L'internationale des victimes de l'amiante se met en place. Plus rien ni personne ne pourra l'arrêter", a prédit Pierre Pluta, président de l'Andeva. A l'appel de l'association française, plus de 5 000 manifestants de différents pays se sont rassemblés le 13 octobre dans les rues de Paris pour demander l'interdiction mondiale de la fibre cancérogène.

En savoir plus
  • Les exposés présentés lors du colloque de la Journée internationale des victimes de l'amiante sont disponibles sur le site de l'Association nationale de défense des victimes de l'amiante : http://andeva.fr