Compte pénibilité : un mode d’emploi à négocier

par Stéphane Vincent / 04 avril 2014

Missionné par le gouvernement, Michel de Virville a présenté le 27 mars ses propositions portant sur la mise en œuvre pratique du compte personnel de prévention de la pénibilité. La balle est désormais dans le camp des partenaires sociaux. La négociation s’annonce âpre.

Une première étape est franchie. Michel de Virville, conseiller maître à la Cour des comptes, vient de présenter ses propositions concernant la mise en œuvre pratique du compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P). Lors d’une conférence de presse, le 27 mars, l’ancien président de la commission des relations du travail du Medef, missionné par le gouvernement, a donné sa vision des conditions auxquelles le nouveau dispositif pourrait fonctionner. Pour rappel, celui-ci, prévu par la dernière loi de réforme des retraites, doit permettre aux salariés exposés dans leur travail à un ou plusieurs facteurs de pénibilité de se reconvertir via une formation, de passer à temps partiel sans perte de salaire ou de partir plus tôt en retraite. Le tout sur la base d’un système de points acquis par trimestre et financés par une surcotisation des employeurs.

« Référentiel interprofessionnel »

Or, si la loi a précisé les grands principes de fonctionnement du nouveau système, sa portée concrète repose en grande partie sur certains paramètres non encore définis. Il en est ainsi des seuils d’exposition aux différents facteurs de pénibilité, qui détermineront l’obtention de points, le versement des surcotisations et le nombre de salariés concernés. Autant dire que les propositions de Michel de Virville étaient attendues, tant par les organisations patronales que syndicales. Le Medef, par la voix de son président, voit déjà dans ce dispositif une source de « stress » pour les employeurs. Les syndicats en attendent une compensation vis-à-vis de l’allongement de la durée de vie active imposé aux salariés suite aux réformes des retraites.

Lors de la conférence de presse, Michel de Virville a rappelé à plusieurs reprises que ses propositions, définies après concertation et fondées sur des travaux menés par les services des ministères du Travail et de la Santé et un groupe d’experts scientifiques, ne constituaient qu’une base de discussion. Avant de préciser que son objectif était de tendre vers le fonctionnement le plus simple. Il préconise ainsi un « référentiel interprofessionnel » en matière de seuils d’exposition, afin d’éviter des négociations sur ces derniers branche par branche. En revanche, les branches professionnelles devraient être sollicitées pour rédiger des modes d’emploi, afin de guider l’application du dispositif, notamment dans les TPE-PME. Enfin, le conseiller maître à la Cour des comptes suggère de renforcer la prévention, en faisant converger la déclaration des expositions aux facteurs de pénibilité avec le contenu du document unique d’évaluation des risques.

Niveau et durée

Concernant les seuils d’exposition, point stratégique, Michel de Virville propose qu’ils reposent à la fois sur un niveau et une durée d’exposition. Un principe décliné pour les dix facteurs de pénibilité retenus par le Code du travail : manutention de charges lourdes ; postures pénibles ; gestes répétitifs ; travail de nuit, travail en équipes alternantes ; températures extrêmes ; bruit ; vibrations ; risque hyperbare ; risque chimique ou cancérogène, mutagène et reprotoxique (CMR). Ainsi, pour le travail de nuit, seuls les salariés travaillant entre minuit et 5 heures du matin, au moins 15 jours par mois, bénéficieraient du C3P. Pour le bruit, seuls ceux exposés à 85 décibels A (dBA), au moins 80 heures par mois, pourraient cumuler des points. Cette même durée d’exposition de 80 heures mensuelles est retenue pour d’autres facteurs, ajoutée à un niveau de contrainte spécifique :

– 15 kilos en levé-porté ou 250 kilos en poussé-tiré pour le port de charges lourdes ;

– être accroupi, à genoux, les bras au-dessus de l’épaule, le torse fléchi ou tordu pour les postures pénibles ;

– un temps de cycle d’une minute ou 20 gestes techniques par minute pour le travail répétitif ;

– moins de0 °Cou plus de30 °Cpour les températures extrêmes ;

– une fréquence de 2,5 mètres par seconde au carré (m/s2) pour les mains et les bras et de 5 m/s2 pour le corps entier concernant les vibrations.

Pour le travail en équipes alternantes ou pour les salariés confrontés à des horaires irréguliers, seraient retenues les équipes ou heures effectuées de nuit, sur une durée de 6 jours minimum par mois. Le seuil concernant le risque hyperbare renvoie à un nombre de plongées par mois. Quant aux CMR et produits chimiques, le niveau et la durée d’exposition de référence seraient définis en pourcentage des valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP), si elles existent, avec un facteur d’abattement relatif au port d’équipements de protection.

Fractions de points

Si le principe du cumul d’un niveau et d’une durée d’exposition semble évident, les valeurs proposées pour l’un et l’autre seront âprement discutées par la suite entre les partenaires sociaux. La durée d’exposition, notamment, devrait faire l’objet d’un débat. Souvent fixée à 80 heures par mois, ou sur une base équivalente, elle peut sembler excessive au regard des situations de travail réelles constatées aujourd’hui, mais aussi et surtout compte tenu des effets potentiels de certains facteurs sur des durées moindres.

Ce choix d’une durée d’exposition mensuelle a également d’autres incidences. Il implique une évaluation mensuelle des expositions et une acquisition au mois des droits liés au C3P. Or la loi prévoit l’acquisition par trimestre d’un ou deux points, selon le nombre de facteurs auxquels les salariés sont exposés. La proposition de Michel de Virville tend donc à asseoir le principe d’une acquisition de fractions de points, assemblées ensuite en points par trimestre. Ce système présente un avantage : il permet de prendre en compte les expositions des salariés précaires, souvent embauchés pour des durées courtes (CDD d’un ou deux mois, intérim). Un système de proratisation est d’ailleurs proposé pour les durées encore plus courtes, inférieures au mois.

Evaluation par l’employeur

L’évaluation des expositions sera l’autre grand sujet de discussion. La loi prévoit qu’elle incombe entièrement et seulement à l’employeur. Celui-ci est censé évaluer l’exposition de chaque salarié à chaque facteur de risque. Il doit ensuite déclarer ces expositions à la caisse d’assurance retraite et de la santé au travail (Carsat) et verser en conséquence une surcotisation. Le contrôle de la validité de cette déclaration est confié logiquement aux Carsat. Tout contentieux entre le salarié et l’employeur sur le sujet donne d’abord lieu à une conciliation entre les deux parties, puis au sein de la Carsat, avant de finir au tribunal des affaires de Sécurité sociale.

Bien entendu, cela pose la question de la compétence de l’employeur pour évaluer les expositions, tout comme celle de la charge que cela peut représenter pour lui, notamment dans une TPE. Tout employeur est-il capable d’évaluer chaque mois les expositions de chacun de ses salariés ? Afin de surmonter ce problème, en dehors d’une aide éventuelle apportée par les branches, Michel de Virville suggère de ne pas renouveler chaque mois l’évaluation si les expositions sont stables. Mais toute création de poste ou tout changement dans la situation de travail d’un salarié devront donner lieu à une évaluation. La lente mise place des documents uniques d’évaluation des risques ainsi que le caractère souvent lacunaire de leur contenu témoignent de la difficulté pour les entreprises à rendre compte des expositions réelles des salariés. Le nouveau dispositif va-t-il échapper à cet écueil ?

Quels moyens pour le contrôle des déclarations ?

Au-delà, il existe également le danger d’éventuelles sous-déclarations, afin de réduire le coût des surcotisations. Sachant que des mesures de prévention peuvent être mises en avant par l’employeur pour justifier la non-application du C3P. Certes, en cas de fraude, des sanctions plutôt sévères sont prévues, telles qu’un rappel de cotisations jusqu’à cinq ans et une amende par salarié concerné. Reste que leur effectivité dépendra en grande partie de l’efficacité du contrôle des évaluations et déclarations réalisées par l’employeur. Mais les Carsat disposeront-elles des moyens nécessaires pour vérifier la cohérence des informations délivrées par les entreprises sur un sujet aussi complexe que des expositions professionnelles ? Est-il prévu de solliciter les ingénieurs-conseils et contrôleurs de sécurité des Carsat, qui sont en capacité de mesurer les expositions des salariés, afin notamment de vérifier la validité des évaluations réalisées par les employeurs ? Un groupe de travail, chargé de la mise en œuvre technique du C3P et piloté par Thomas Audigé, de l’Inspection générale des affaires sociales, devrait apporter des réponses. Mais il n’a pas présenté ses conclusions. Et le volant de propositions de Michel de Virville reste discret sur ces sujets. Est-ce pour laisser une large place au débat social ?

Il est certain que ce dernier sera déterminant. La concertation entre l’Etat et les partenaires sociaux va continuer tout le mois d’avril. Syndicats et patronat sont invités à formuler des contre-propositions ou des aménagements au schéma suggéré par Michel de Virville. Les décrets d’application devront être prêts pour fin mai, pour une publication fin juin. On ne peut qu’espérer que les arbitrages offriront des garanties sur les questions soulevées précédemment, au risque que la montagne n’accouche d’une souris.