© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Enquête statistique : des conditions de travail plus difficiles chez les sous-traitants

par Selma Amira statisticienne à la direction de l'Animation de la recherche, des Etudes et des Statistiques (Dares) / octobre 2011

Travail davantage prescrit et contrôlé, horaires et rythme plus contraignants, risque d'accident plus important... Les salariés des sous-traitants sont moins bien lotis que ceux des donneurs d'ordres, comme le montre l'enquête COI.

Le recours à la sous-traitance s'est fortement accru entre le milieu des années 1980 et 1995, avant de se stabiliser. Au cours de cette période, cette pratique s'est étendue à l'ensemble des secteurs industriels, tout en se généralisant à des entreprises de taille restreinte. L'ampleur du phénomène a suscité la réalisation de plusieurs études sur les conditions de travail des sous-traitants, recherches toutefois circonscrites à des secteurs d'activité et des zones géographiques spécifiques ou encore à un aspect particulier tel que la coactivité sur un même lieu de travail. L'enquête COI1 2006-2007 (voir " Repères ") élargit les connaissances sur ce thème. Les donneurs d'ordres ont été repérés par l'existence de procédures formalisées dans les relations avec les fournisseurs et/ou l'externalisation de certaines tâches, les sous-traitants par une formalisation poussée des relations avec les clients.

Repères

L'enquête Changement organisationnel et informatisation (COI) 2006-2007 est une enquête couplée employeurs/salariés coordonnée par le Centre d'études de l'emploi. Environ 14 000 entreprises de 10 salariés et plus ont été interrogées en 2006 sur leur organisation du travail et leur informatisation, ainsi que sur les changements récents. En 2007, environ 3 salariés par entreprise de 20 salariés ou plus ont été interrogés sur leurs conditions de travail ; les questions portaient notamment sur l'entraide et le collectif de travail, ainsi que sur l'impact des éventuels changements organisationnels sur leur travail.

Des entreprises plus petites employant plus d'ouvriers

L'enquête indique que 18 % des entreprises d'au moins 20 salariés sont en situation de donneurs d'ordres exclusifs ; 4 % sont des sous-traitants intermédiaires (elles sont également donneuses d'ordres) ; 7 % sont exclusivement sous-traitantes ; 71 % des entreprises, enfin, n'ont aucun lien avec la sous-traitance. Les donneurs d'ordres exclusifs emploient 41 % des salariés du champ de l'étude, alors que les sous-traitants intermédiaires, tout comme les exclusifs, en emploient 6 %.

Les sous-traitants exclusifs sont concentrés dans certains sous-secteurs industriels : métallurgie et transformation des métaux, habillement et cuir, industrie des composants électriques et électroniques... Plus petites que les donneurs d'ordres, ces entreprises emploient une majorité d'hommes, d'âge intermédiaire, et beaucoup d'ouvriers (57 %), le plus souvent qualifiés. Principalement présents dans le commerce et les services, les donneurs d'ordres exclusifs sont de grande taille : presque une entreprise sur trois compte 200 salariés et plus, soit trois fois plus que pour les autres entreprises. Enfin, 19 % des salariés sont des employés, soit deux fois plus que chez les sous-traitants exclusifs.

Les salariés des donneurs d'ordres ont une ancienneté plus importante que ceux des sous-traitants et apparaissent un peu plus mobiles à l'intérieur de l'entreprise : plus de la moitié ont changé de poste au cours des douze derniers mois, du fait notamment qu'ils travaillent dans des entreprises de plus grande taille. Dans les entreprises de 50 salariés et plus, pour lesquelles les données administratives permettent d'estimer la mobilité externe, le turn-over apparaît plus élevé dans celles sans lien avec la sous-traitance. Les sous-traitants, en revanche, recourent davantage à l'intérim.

Chez les donneurs d'ordres comme chez les sous-traitants, les salariés déclarent plus souvent avoir des objectifs précis à atteindre que dans les entreprises sans lien avec la sous-traitance. Ils reçoivent plus souvent que les autres des ordres ou des consignes, doivent suivre des procédures de qualité strictes auxquelles ils sont plus souvent formés et leur travail est plus souvent contrôlé. Si le travail est particulièrement prescrit et contrôlé dans les entreprises sous-traitantes, leurs salariés semblent avoir davantage de marges de manoeuvre : ils signalent plus souvent contrôler le travail des collègues ou prendre des initiatives pour améliorer le poste de travail. Ces résultats restent significatifs " toutes choses égales par ailleurs ", c'est-à-dire à caractéristiques du salarié, de son poste de travail et de l'entreprise équivalentes. Au total, la plus forte formalisation du travail des salariés des sous-traitants ne semble pas s'accompagner d'une réduction importante de leurs marges de manoeuvre.

Les salariés des donneurs d'ordres exclusifs, qui travaillent plus souvent dans le commerce et les services, sont, de ce fait, plus souvent en contact permanent avec le public que les salariés des sous-traitants ; ils déclarent plus souvent se débrouiller seuls en cas de difficulté avec le public.

Le travail de nuit est plus fréquent chez les sous-traitants (16 % des salariés sont concernés, contre 9 % chez les donneurs d'ordres) et les horaires sont un peu moins souvent prévisibles au-delà du lendemain (9 %, contre 6 %). Les salariés des donneurs d'ordres ont pour leur part plus souvent des astreintes ; ils travaillent plus fréquemment le dimanche, surtout dans les services. Ces écarts reflètent en partie des différences dans la structure de la main-d'oeuvre - il y a plus de cadres chez les donneurs d'ordres et plus d'ouvriers chez les sous-traitants -, mais les contraintes horaires demeurent plus fortes chez les sous-traitants, même à secteur et profession identiques. Par ailleurs, les salariés des sous-traitants subissent davantage de contraintes de rythme de travail, celui-ci dépendant plus souvent qu'ailleurs du déplacement automatique d'un produit ou d'une pièce. Ils déclarent aussi plus souvent ne pas pouvoir maintenir à la fois la qualité et les délais de production.

Une moindre satisfaction au travail

Les salariés des sous-traitants jugent, plus souvent que ceux des donneurs d'ordres, risquer un accident du travail en cas d'erreur de leur part et ils signalent plus souvent avoir effectivement subi un accident au cours des douze mois précédant l'enquête. Les statistiques administratives confirment les déclarations des salariés : le taux de fréquence moyen des accidents du travail sur la période 2003-2006 est plus important chez les sous-traitants exclusifs (37,6 par million d'heures travaillées) que chez les donneurs d'ordres exclusifs (29,1). Ces écarts s'expliquent en partie par le fait que les entreprises sous-traitantes sont plus souvent des petites et moyennes industries. Cependant, à caractéristiques identiques (notamment en termes de secteur et de taille d'entreprise), le taux de fréquence moyen des accidents du travail reste supérieur pour les sous-traitants. Il est possible que les entreprises aient tendance à sous-traiter leurs activités les plus risquées, soit précisément parce qu'elles sont risquées ou bien parce que l'organisation de ces activités se prête mieux à leur sous-traitance. Il est aussi possible que la réalisation en sous-traitance de certaines activités conduise à des prises de risque supérieures, liées en particulier à des pressions temporelles plus fortes induites par la relation contractuelle ou à la moindre connaissance de l'environnement de travail pour les salariés des sous-traitants intervenant sur des " sites tiers ".

Pour ce qui est du collectif de travail (ambiance avec les collègues, entraide...), il y a peu de différences entre les déclarations des salariés selon la place de leur employeur dans les relations de sous-traitance. En revanche, l'ambiance au sein de l'entreprise est moins souvent décrite comme étant " bonne " par les salariés des sous-traitants. Certains facteurs de risques psychosociaux sont également plus présents chez les sous-traitants que chez les donneurs d'ordres. Le sentiment d'insécurité socio-économique (risque de perdre son emploi dans l'année qui vient) y est plus important. Une moindre implication au travail au cours des trois dernières années et le sentiment plus présent chez les salariés de la sous-traitance d'être plutôt " mal " ou " très mal " payés sont des signes d'une moindre satisfaction au travail et sans doute d'une moindre soutenabilité du travail.

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    Pour " Changement organisationnel et informatisation ".

En savoir plus
  • " Sous-traitance : des conditions de travail plus difficiles chez les preneurs d'ordres ", par Elisabeth Algava et Selma Amira, Dares Analyses n° 011, février 2011.