© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Congrès sur le travail posté : éloge de la lumière... de la sieste

par Valérie Pueyo / octobre 2009

Lien entre horaires atypiques et cancer, bienfaits de la sieste, action positive de la lumière sur les rythmes biologiques ont figuré parmi les thèmes phares d'un congrès international sur le travail posté organisé cet été par la Working Time Society1

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    Littéralement " Société du temps de travail ". 2. Les exposés du congrès seront prochainement disponibles sur le site de la Working Time Society : www.workingtime.org

Un congrès international sur le travail posté1 , début août, à Venise... On devine vos sourires entendus. Ne jugez pas trop vite. Le 19e symposium de la Working Time Society (WTS) a déroulé sur trois jours et demi ses sessions, au cours desquelles 170 participants, assidus, ont assisté à une centaine de communications2. Parmi eux, beaucoup d'Australiens, d'Allemands, de Brésiliens, de Scandinaves, d'Américains et, bien sûr, d'Italiens. Mais peu de Français, ce qui mériterait qu'on s'en soucie. Des exposés de qualité, un auditoire attentif, des débats argumentés : ce réseau international sur les horaires de travail prend sa tâche au sérieux.

Davantage d'accidents

Le thème se prête à une variété d'approches. On a parlé d'apnée du sommeil et de métabolisme du glucose ; de somnolence des chauffeurs de camions et de risques d'erreur chez les chirurgiens ; d'améliorations des horaires dans une usine d'acier aux Pays-Bas, une mine au Chili, ou encore chez des aides familiales au Danemark. Peter Knauth a tiré les enseignements de cinq interventions sur les horaires dans des entreprises allemandes. Rebecca Loudoun a expliqué pourquoi les adolescents australiens en horaires décalés présentaient des taux d'accidents très élevés. Karin Boonstra a montré comment on avait pu déplacer des tâches de la nuit vers le jour dans des entreprises autrichiennes. Torbjörn Åkerstedt a indiqué que les progrès ressentis dans la qualité du sommeil chez les salariés quittant le travail posté étaient plus nets que les dégradations ressenties chez ceux qui débutaient dans ce type d'horaires.

Pourquoi la nuit porte cancer

Selon le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), le travail de nuit posté est probablement cancérogène pour l'homme, dans la mesure où il conduit à une disruption circadienne, c'est-à-dire une perturbation des rythmes de l'horloge biologique interne. Plus précisément, que peut-on dire des mécanismes en jeu ? Spécialisé en chronobiologie, Erhard Haus explique que le phénomène est complexe. Tout d'abord, il y a une interaction directe entre les gènes régulant le cycle cellulaire et ceux régulant l'horloge biologique. L'exposition à la lumière en période nocturne entraîne l'altération et la dérégulation de ces derniers et perturbe les mécanismes relatifs, entre autres, à la prolifération cellulaire et à la réparation des dommages de l'ADN, ce qui contribue à l'apparition et au développement de cellules et tumeurs cancéreuses. L'expérimentation animale a montré que l'exposition à la lumière durant la nuit provoque également un blocage de la synthèse de mélatonine. Or la mélatonine a un effet immunostimulant. Et, outre les effets délétères de la lumière, la privation de sommeil engendre des changements du système immunitaire et une diminution de l'immunosurveillance1 . Tous ces phénomènes sont en interaction. Des études mécanistiques, expérimentales, épidémiologiques et cliniques doivent être poursuivies. Car, quoi qu'il en soit, les horaires atypiques semblent augmenter les risques de développer des cancers directs ou indirects - chimio-induits - et contribuer à l'accélération des cancers existants.

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    L'immunosurveillance est le mécanisme conduisant à la destruction des cellules anormales.

Trois sujets, nouveaux ou non, ont fait particulièrement l'objet d'échanges abondants. Le premier concerne les relations entre cancer et travail en horaires atypiques. Lors d'un congrès précédent, les membres de la WTS avaient souligné la nécessité d'investiguer et de communiquer sur ce chapitre. Giovanni Costa, Erhard Haus et Kurt Straif ont rappelé qu'en décembre 2007, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) avait classé le travail de nuit posté comme " probablement cancérogène " pour les humains (groupe 2A), sur la base de preuves suffisantes pour l'expérimentation animale, mais encore à consolider chez l'homme (voir encadré). Des études épidémiologiques ont révélé une augmentation modérée de la prévalence du cancer du sein, du colon et de l'endomètre chez les femmes et du cancer de la prostate chez les hommes. Cependant, ces études ont des limites. La description de l'exposition aux horaires - sens des rotations, horaires pratiqués, nombre de jours travaillés - y est trop floue, les autres facteurs de risque sont négligés, les secteurs d'activité sont trop restreints. Des études et protocoles plus spécifiques doivent être réalisés.

Une pratique pas toujours tolérée

Dans un registre différent, il a été mis en évidence que la sieste pratiquée au domicile avant le premier poste de nuit permettait aux salariés de contrecarrer les carences de sommeil et les somnolences à venir. Ses effets bénéfiques sont avérés, sur la performance tôt le matin et sur la diminution du taux d'accidents. Cela semble surtout important pour les travailleurs ayant des vacations longues, de plus de 16 heures, ou quand un poste de nuit précède immédiatement un poste du matin. Sur le lieu de travail, la sieste est aussi très favorable à la performance et à la sûreté des personnes. Cependant, toutes les conditions ne sont pas toujours remplies pour la rendre possible. Il faut, en effet, un fauteuil ou un lit à disposition, un espace à l'écart du bruit et de la lumière, mais aussi un effectif suffisant pour répondre à la charge de travail et, enfin et surtout, une tolérance à l'égard même de la sieste. Le symposium aura été l'occasion de constater qu'en Pologne, au Brésil ou au Japon, cette pratique est admise...

Passons, en dernier lieu, de la pénombre de la sieste à la pleine lumière. Bjørn Bjorvatn a exposé comment cette dernière pouvait aider à la réadaptation des rythmes biologiques. Selon le chercheur norvégien, l'exposition à une lumière vive (7 000 lux) faciliterait cette adaptation. Pour preuve, le sentiment d'un sommeil amélioré et une vigilance accrue après quelques séances. Mais les effets de la lumière dépendent de son intensité, des conditions d'exposition, de la durée et de l'heure d'" application ". En effet, il suffit d'une lumière prodiguée au mauvais moment du cycle biologique pour que l'adaptation soit empêchée ou retardée, allant ainsi à l'encontre des résultats escomptés. En outre, aucune communication du colloque n'a suggéré que cette action de la lumière évitait les méfaits du travail nocturne à long terme. Aucune non plus n'a porté sur la possibilité d'effectuer de telles séances dans des conditions agréables pour le travailleur.

Développer les études qualitatives

Le prochain symposium de la WTS aura lieu en 2011 en Suède. Des progrès, certes, seraient à espérer, par exemple du côté des recherches qualitatives - les analyses chiffrées prédominaient largement à Venise - ou du côté d'études combinant les questions d'horaires avec les caractéristiques du travail lui-même. Le dynamisme de ce réseau, sa capacité à accueillir de nouveaux chercheurs (jeunes, notamment) et de nouvelles idées permettent d'être optimiste en ce domaine. Quant à faire vraiment reculer les dégâts commis par les horaires décalés et le travail de nuit, en expansion dans la plupart des pays, cela, évidemment, ne dépend pas seulement des travaux scientifiques.

  • 1travail posté : le travail posté est un travail organisé en équipes successives, qui se relaient en permanence aux mêmes postes.