Le Conseil constitutionnel rend justice aux victimes du travail

par Aurore Moraine / octobre 2010

Saisi dans une affaire d'accident du travail, le Conseil constitutionnel a déverrouillé, en juin dernier, la liste des préjudices indemnisables en cas de faute inexcusable de l'employeur. Un nouveau pas vers la réparation intégrale.

Pour Christiane L., victime d'un grave accident du travail, les perspectives sont peu réjouissantes : c'est l'hospitalisation à vie. Les travaux d'aménagement de son domicile nécessités par son très lourd handicap sont beaucoup trop onéreux pour que l'intéressée puisse envisager sereinement un retour chez elle. La loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail et son extension aux maladies professionnelles datée du 25 octobre 1919, qui régissent toujours le régime d'indemnisation, ne prévoient pas la prise en charge de l'ensemble des préjudices, même lorsque l'employeur - c'est le cas de celui de Christiane L. - a commis une faute inexcusable. Le principe de la réparation intégrale, qui vaut pourtant, depuis la loi Badinter de 1985, pour les victimes d'accidents de la circulation, ne s'applique pas aux accidentés du travail... Pour Christiane L., ce sera donc l'hôpital, la largeur de son fauteuil roulant dépassant celle de son couloir.

Fin de l'histoire ? Non, car depuis son accident, la toute nouvelle procédure de " question prioritaire de constitutionnalité " (QPC), mise en place le 1er mars dernier, permet à tout justiciable de " purger l'ordre juridique de dispositions inconstitutionnelles ", selon l'expression du secrétaire général du Conseil constitutionnel, Marc Guillaume. Christiane L. et son avocat ont su tirer profit de ce droit nouveau : le 18 juin, ils ont obtenu du Conseil constitutionnel l'indemnisation au titre de l'aménagement du domicile, qu'en l'état la loi de 1898 refusait à la salariée. Une décision qui va coûter très cher aux employeurs et qui ébranle l'édifice construit par la loi de 1898.

De l'adaptation du véhicule à l'entretien du jardin

Selon l'expression désormais consacrée, la loi de 1898 repose sur un deal. En cas d'accident du travail, l'employeur est automatiquement responsable, indépendamment de sa faute. En contrepartie, la réparation de la victime est forfaitaire. A ce stade, le Conseil constitutionnel ne trouve rien à redire. Certes, le principe de responsabilité est aménagé, mais les victimes d'accident du travail y trouvent leur compte. L'inopposabilité de sa faute à la victime dispense celle-ci d'introduire une action en justice, le paiement des indemnisations est automatique et rapide, les caisses de Sécurité sociale sont solvables... Autant d'" avantages " qui contrebalancent et justifient le caractère forfaitaire de la réparation.

La loi de 1898 prévoit toutefois une exception à ce système : lorsque l'employeur a commis une faute inexcusable1 , la victime est fondée à bénéficier d'une indemnisation complémentaire. Reste que celle-ci concerne exclusivement le préjudice causé par les souffrances physiques et morales et le préjudice esthétique et d'agrément, conformément à l'article L. 452-3 du Code de la Sécurité sociale. La réparation ne peut donc être intégrale, puisqu'une liste limitative de préjudices est établie. C'est précisément cette situation que vient de corriger le Conseil constitutionnel. Les victimes sont désormais autorisées à réclamer devant le tribunal des affaires de Sécurité sociale (Tass) l'indemnisation des préjudices jusqu'ici non couverts. Sont visés des préjudices économiques comme l'aménagement d'un appartement, l'adaptation d'un véhicule, les frais d'obsèques, l'entretien d'un jardin... Une avancée essentielle pour les victimes, que l'on doit une fois encore aux juges.

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    La notion de " faute inexcusable de l'employeur " a été élargie par les " arrêts amiante " rendus par la Cour de cassation le 28 février 2002. Elle recouvre à présent tout manquement à l'obligation de sécurité de résultat, et non plus uniquement les cas de " faute d'une gravité exceptionnelle ".