© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Des consultations sur la corde raide

par Philippe Bornard / janvier 2009

Victimes de la politique d'austérité appliquée à l'hôpital, certaines consultations de pathologies professionnelles sont menacées. La prévention ne peut pourtant faire l'économie de leur expertise, ni de l'aide qu'elles apportent aux patients et aux médecins.

Sur les 30 centres de consultation de pathologies professionnelles [CCPP], un tiers sont menacés à court terme", s'alarme le responsable d'une consultation qui connaît des difficultés, faute de financements garantis. Rattachées aux centres hospitaliers universitaires (CHU), ces structures subissent en effet de plein fouet la politique définie par le plan hôpital 2007, lancé en 2002, qui contraint les établissements à faire des économies, à donner la priorité aux soins et à développer les activités les plus rémunératrices sur la base du principe de la tarification à l'activité (T2A). Une recherche de rentabilité redoublée avec la crise économique et que renforcera la loi Hôpital, patients, santé et territoires, dont l'approbation par le Parlement est imminente.

 

repère

Le financement des consultations de pathologies professionnelles est assuré par :

  • ce qu'elles rapportent, c'est-à-dire le produit de la tarification à l'activité (T2A) ;
  • l'Assurance maladie, qui peut abonder ces ressources en les classant "consultations d'expertise" ;
  • l'enveloppe allouée aux hôpitaux au titre des missions d'intérêt général (10 % du budget national des hôpitaux), qui constitue souvent leur première source de financement ;
  • l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (Afsset), via le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), qui centralise les données des consultations.

Certes, selon la nouvelle réforme, tout hôpital pourra continuer de consacrer environ 10 % de son budget aux missions d'intérêt général (MIG), dont relèvent les centres de consultation. Ce qui, a priori, assurerait à ceux-ci une part de leur financement (voir "Repère"). Les professeurs de médecine du travail à la tête des CCPP ne cachent toutefois pas leurs craintes. "La situation est préoccupante, la santé au travail n'est pas toujours la priorité pour les hôpitaux", pointe Gérard Lasfargues, responsable de la consultation de Tours. Certains centres semblent moins fragilisés, pour l'instant en tout cas : "Pas d'inquiétude pour notre consultation, fortement soutenue par l'hôpital", se félicite le Pr Christophe Paris, du CHU de Nancy. Idem à Angers : "Notre établissement a la fibre sociale", soutient Yves Roquelaure, qui dirige la consultation. Il n'empêche, même si ces consultations ne sont pas directement menacées dans l'immédiat, "très clairement, la réforme de l'hôpital n'incite pas à les développer", prévient-il toutefois.

 

Géométrie variable

"Le paiement de nos consultations ne couvre pas nos frais réels, expose un responsable de CCPP. Un accord avec l'Assurance maladie nous permet de mieux les valoriser en les classant "spécifiques", au même titre, par exemple, que les consultations de dépistage, mais cela reste insuffisant." Le financement au titre des missions d'intérêt général est, quant à lui, à géométrie variable, selon la politique régionale hospitalière et celle de l'établissement.

"Nous sommes à la fois dans la tarification à l'activité et les missions d'intérêt général, explique le Pr Patrick Brochard, du CHU de Bordeaux. Rien n'est pérenne, tout peut changer d'une année sur l'autre. Notre principal risque est que notre dotation budgétaire au titre des MIG diminue pour cause d'austérité et que certaines régions ne fassent plus de notre activité une priorité." Selon Jean-Marc Soulat, responsable de la consultation du CHU de Toulouse, même dans cette enveloppe protégée, "des arbitrages douloureux devront être effectués en fonction des priorités locales et nationales : éducation thérapeutique, maladies professionnelles, maladies chroniques, permanence d'accès aux soins de santé, etc."

Tous les directeurs de centres mettent en avant l'intérêt primordial de préserver leur activité, en premier lieu pour le patient. Les consultations constituent un "outil d'expertise unique", affirme Christophe Paris. "Lieu majeur de diagnostic de pathologies liées au travail, elles permettent une plus grande reconnaissance des maladies professionnelles", complète Gérard Lasfargues. Assurant une fonction de veille et d'alerte sur des maladies émergentes ou rares, elles contribuent à établir un lien entre une exposition professionnelle et une pathologie. La mise en commun des observations entre les consultations, via le Réseau national de vigilance et de prévention des pathologies professionnelles (RNV3P), "a permis, par exemple, de faire apparaître des associations entre une exposition aux pesticides et certains cancers comme les lymphomes, ainsi qu'entre une exposition aux solvants chlorés et des maladies dermatologiques rares", précise le Pr Lasfargues.

 

"Raccrocher" à la prévention précaires et non-salariés

Les CCPP remplissent aussi une fonction d'animation de la médecine du travail, de conseil pour l'aménagement des postes et pour les actions de prévention en entreprise. Ils apportent aux médecins du travail et aux généralistes - qui leur adressent leurs patients - une expertise pluridisciplinaire, des connaissances épidémiologiques et un soutien pratique. "En matière de souffrance au travail, les consultations sont particulièrement utiles du point de vue clinique et les médecins généralistes sont très demandeurs d'un soutien d'expertise", signale le Pr Roquelaure. Autre atout, la confidentialité : une partie des actifs s'y adressent quand ils ne veulent pas parler à leur médecin du travail, par crainte pour leur poste. "Ils viennent chez nous et sont pris en charge dans des services de psychiatrie et de suicidologie. Si les consultations devaient disparaître dans certaines régions, où iront ces personnes ?", interroge-t-il. D'autant qu'aucun équivalent n'existe dans le privé. Par ailleurs, ces consultations permettent de "raccrocher" à la prévention un certain nombre d'actifs : tous les précaires ou non-salariés (artisans, indépendants, intérimaires, sous-traitants, employés à domicile...) peuvent en bénéficier, y compris ceux qui n'ont aucun contact avec la médecine du travail.

Au regard du service rendu, les CCPP sont logiquement l'un des fers de lance du plan santé au travail 2005-2009. Mais, faute de moyens, ils n'ont pas été déployés avec les effectifs prévus, à savoir deux enseignants et deux praticiens minimum par consultation. "Nous gérons la pénurie", constate Christophe Paris. A Bordeaux, par exemple, indique le Pr Brochard, "il y a un à deux mois d'attente pour une consultation croisée médecin/psychologue d'un patient en souffrance au travail. Nous examinons donc au cas par cas le degré d'urgence avec le patient". Les autres centres affichent les mêmes délais. Cette situation est à mettre en parallèle avec "l'aggravation des conditions de travail due à l'intensification des tâches, qui se traduit dans nos observations cliniques par une souffrance au travail et des troubles musculo-squelettiques accrus", observe Jean-Marc Soulat, estimant que "des moyens élargis sont en particulier nécessaires pour développer les consultations traitant de souffrance au travail"

 

Un risque qui n'est pas imaginable

Ce qui pourrait protéger le plus efficacement l'existence des consultations, c'est la crainte d'un scandale analogue à celui de l'amiante, le développement de nouvelles pathologies professionnelles dont la prévention aurait été escamotée. Car les consultations jouent un rôle de sentinelles. Les réduire, fait valoir Yves Roquelaure, "c'est prendre un risque qui n'est pas imaginable. La volonté politique de préserver ce dispositif doit être clairement affichée". Pour les sauvegarder, il faudrait, de l'avis des responsables de CCPP, une reconnaissance et donc un "engagement fort" des deux ministères de tutelle (Santé et Travail). La technicité du dossier ne doit pas faire illusion : l'avenir des consultations relève d'un choix politique d'allocation de moyens à une priorité de santé publique. En contrepartie, elles devront, "davantage encore qu'aujourd'hui, entrer dans une logique de moyens alloués à des objectifs précis, mieux rendre compte de leur activité et des résultats obtenus", souligne l'un de ces experts. Nombre de centres s'inscrivent d'ailleurs déjà dans cette démarche pragmatique.