Loi Sapin : délais serrés pour l'expertise CHSCT

par Martine Rossard / juillet 2013

Création d'une instance de coordination des CHSCT, encadrement des durées d'expertise : la loi de sécurisation de l'emploi adoptée en mai modifie les règles de consultation de cette instance représentative du personnel. Et nourrit les craintes des experts.

La loi de sécurisation de l'emploi, dite "loi Sapin", a été définitivement adoptée le 14 mai. Elle transpose l'accord national interprofessionnel (ANI) signé en janvier dernier par le Medef, la CGPME, l'UPA, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC et combattu par la CGT et FO. Principale nouveauté pour les CHSCT : en cas de projet important modifiant les conditions de travail et concernant plusieurs établissements, une instance de coordination peut être mise en place pour recourir à une expertise unique. Le Medef a voulu limiter les expertises multiples et accélérer les consultations, en particulier lors des plans sociaux

"Une instance temporaire de coordination"

Le texte a évolué au Parlement. L'ANI prévoyait une mise en place systématique de l'instance, dont l'avis se serait substitué à celui des CHSCT. La loi précise bien que "l'employeur peut mettre en place une instance temporaire de coordination", qui pourra rendre un avis dans des délais prévus par décret. En revanche, le législateur a décidé que l'expertise et l'éventuel avis de l'instance seraient transmis aux CHSCT concernés, qui continuent à rendre "leur avis""Cette évolution est à souligner, estime François Cochet, du cabinet Secafi, mais l'instance devrait être réservée aux situations rendant la coordination nécessaire ou souhaitable et on ne peut se satisfaire que l'initiative de la coordination revienne uniquement à l'employeur." Les experts craignent qu'une seule expertise centralisée ne permette pas de réaliser des enquêtes au plus près du terrain. "C'est adapté, par exemple, pour la généralisation d'un contenu d'entretien professionnel, mais pas pour des déménagements", assure un élu CHSCT d'une très grosse entreprise.

Obtenir des délais "raisonnables"

Autre nouveauté : la "loi Sapin" prévoit un cadre spécifique pour le déroulement de la consultation du CHSCT et de l'expertise en cas de restructuration avec compression d'effectifs. Les délais accordés à l'expert agréé pour mener son enquête et rendre ses conclusions inquiètent les cabinets spécialisés. En effet, le rapport d'expertise devra être rendu quinze jours avant l'expiration d'un délai, variant de deux à quatre mois selon le nombre de licenciements. Et surtout, ce délai court dès la désignation de l'expert lors de la première réunion de consultation du CHSCT et non plus dès lors que l'expert dispose de toutes les données nécessaires. Au ministère du Travail, on balaye une telle crainte en soulignant que l'administration pourra refuser d'homologuer un plan de sauvegarde de l'emploi si le comité d'entreprise (CE) ou le CHSCT n'ont pas été valablement consultés. "Précédemment, les délais démarraient quand l'expert était en mesure de commencer à travailler, mais cela n'est pas garanti par le texte", insiste Daniel Sanchis, du cabinet Degest. Avec une vingtaine de cabinets spécialisés, ce dernier avait multiplié les interventions auprès des parlementaires, notamment pour obtenir des délais "raisonnables" et "suffisants" ou "par accord", comme c'est le cas pour les experts des CE. Or la loi enfonce le clou, pour les CHSCT comme pour les CE : à l'issue des délais, tous sont "réputés avoir été consultés". Pour Jean-Louis Vayssière, de Syndex, "le dispositif risque d'affaiblir, voire de rendre impossible la coordination indispensable entre CE et CHSCT".

Et ce n'est pas le projet de décret d'application, présenté récemment au Conseil d'orientation sur les conditions de travail et devant entrer en vigueur le 1er juillet, qui est de nature à rassurer les cabinets d'expertise et les CHSCT. Les délais de l'expertise unique, menée à l'initiative de l'instance de coordination, y ont été ramenés à trente jours à compter de la désignation (sauf dans certains cas où l'expert pourra disposer de quarante-cinq jours). Ce qui empêcherait à terme de réaliser une analyse sérieuse de la demande.