Déontologie : une médecine du travail en bon Ordre ?

par Eric Berger / janvier 2014

Le 18 décembre, le conseil de l'ordre des médecins d'Indre-et-Loire a jugé un médecin du travail poursuivi par un employeur dans une affaire d'attestation concernant des risques psychosociaux. La défense conteste le bien-fondé de la démarche.

La salle du conseil de l'ordre des médecins de la région Centre, à Orléans, n'a pas pu accueillir les nombreuses personnes venues soutenir le 18 décembre dernier le Dr Dominique Huez, qui comparaissait devant la chambre disciplinaire. La plainte déposée à l'encontre de ce médecin du travail de la centrale nucléaire de Chinon par la société Orys a suscité une large mobilisation. Ce sous-traitant d'EDF n'accepte pas le certificat médical, établi par Dominique Huez, attestant d'un lien entre l'état de santé psychique d'un de ses salariés et son travail. Au mois de mai, le Dr Huez avait refusé de se présenter à la convocation du conseil départemental de l'ordre des médecins (CDOM) d'Indre-et-Loire pour une tentative de conciliation avec Orys. "Je n'avais pas à m'expliquer sur mes pratiques professionnelles en présence de l'employeur de mon patient", justifie-t-il. Logiquement, c'est donc maintenant à l'instance de jugement de se prononcer.

Une affaire médiatisée

Sauf qu'à la plainte initiale d'Orys s'est associé le CDOM, qui reproche notamment à Dominique Huez d'avoir médiatisé l'affaire. Les peines professionnelles qui peuvent être prononcées vont de l'avertissement jusqu'à l'interdiction d'exercer. Mais pour les avocats du Dr Huez, Mes Sylvie Topaloff et Jean-Paul Teissonnière, une entreprise n'est pas habilitée à saisir le conseil de l'ordre. L'action disciplinaire contre un médecin est réservée, en effet, aux patients, à la Sécurité sociale ou encore à des associations de défense des droits des malades. Et ce n'est pas la nouvelle formulation introduite par un décret du 13 avril 2007, sous-entendant la possibilité d'élargir cette procédure à d'autres catégories de plaignants, qui change la donne. "Les employeurs des patients ont tout loisir de contester leur responsabilité dans le cadre du contentieux de Sécurité sociale rappelle Sylvie Topaloff. "La médecine du travail, dont les principes de fonctionnement sont profondément originaux, est ignorée par le Code de déontologie médicale, sans doute pour éviter des situations de conflit avec le Code du travail ou le Code de la Sécurité sociale poursuit l'avocate. Nous estimons qu'un médecin du travail exerce une mission de service public et que, à ce titre, il ne peut être traduit devant la chambre disciplinaire de première instance que par le ministre de la Santé, le représentant de l'Etat dans le département, l'agence régionale de santé ou encore le procureur de la République."

"Attaques répétées contre la déontologie"

La décision qui sera prise par la chambre disciplinaire est attendue par beaucoup de professionnels de la santé au travail et, au-delà, par de nombreux syndicalistes. "Ces attaques répétées contre la déontologie des médecins du travail cachent une démarche organisée des employeurs pour les empêcher d'attester des risques psychosociaux", soutient Dominique Huez. Plusieurs professionnels ayant établi un lien de causalité entre le travail et des atteintes à la santé sont également concernés par des procédures disciplinaires. Une pétition de soutien à Dominique Huez et deux de ses confrères a recueilli près de 10 000 signatures. "Ce qui se joue, c'est le droit légitime de tout travailleur à une information du médecin du travail sur les risques qu'il court personnellement et les effets qu'ils entraînent sur sa santé", précise le texte.

"Ces pressions d'employeurs sur les médecins du travail ont parfois amené certains d'entre eux à modifier leur certificat", déplore le Dr Alain Carré, du syndicat national CGT des médecins du travail d'EDF. "L'irrecevabilité d'une telle plainte représente un enjeu fondamental", affirme-t-il. Comme plusieurs personnalités du petit monde de la santé au travail, tels les Prs Christophe Dejours et Bernard Cassou, ou encore Michel Lallier, ex-secrétaire du CHSCT de la centrale de Chinon, il a fait le déplacement à Orléans pour témoigner en faveur du Dr Huez. Verdict début 2014.

En savoir plus
  • "Un médecin du travail peut-il attester des méfaits du travail sur la santé ?", Santé & Travail n° 84, octobre 2013. Débat entre les Drs Gérard Lucas, du Syndicat national des professionnels de la santé au travail, et François-Xavier Ley, président du conseil régional de l'ordre des médecins d'Alsace.