Des atteintes psychiques en mal de reconnaissance

par Anne-Marie Boulet / avril 2015

De récents appels de médecins du travail et de députés pour la reconnaissance du burn-out en maladie professionnelle reposent la question de la création d'un tableau sur les atteintes psychiques liées au travail, aujourd'hui bloquée.

Le burn-out, ou syndrome d'épuisement professionnel, a encore fait parler de lui récemment. Fin 2014, dans un courrier adressé aux ministères de la Santé et du Travail, une centaine de médecins du travail ont réclamé qu'il soit reconnu en maladie professionnelle. Bernard Morat, à l'origine de cet appel, s'explique : "Pourquoi un tableau de maladie professionnelle sur le burn-out ? C'est simple : ces deux dernières années, les inaptitudes pour épuisement professionnel se sont envolées. Dans le secteur où j'exerce, en Touraine, elles sont passées d'une ou deux par an à huit ou dix." Le médecin du travail développe : "Un burn-out est un syndrome avec un tableau clinique relativement précis et constant, observé dans différents métiers et secteurs d'activité. C'est un trouble de l'adaptation à l'environnement de travail complexe, aux conséquences extrêmes : un effondrement nerveux, physique et émotionnel qui peut s'accompagner de tentatives de suicide, d'accidents de la route, mais aussi de troubles musculo-squelettiques, de maladies inflammatoires ou cardiovasculaires."

"Une question majeure dans notre société"

Cet appel a été suivi peu après d'un autre, signé cette fois par une trentaine de députés du groupe parlementaire Socialiste, républicain et citoyen (SRC). Ces élus réclament eux aussi la reconnaissance d'une pathologie qu'ils considèrent comme "une question majeure dans notre société du XXIe siècle". Ils constatent qu'"aujourd'hui, cette reconnaissance est rare et le chemin pour y parvenir en fait un parcours pour le moins difficile. Or cette reconnaissance est indispensable pour faire que les effets de l'épuisement nerveux au travail soient à la charge de ceux qui en sont responsables, c'est-à-dire les employeurs". Parmi les signataires, Régis Juanico, député PS de la Loire, est membre du groupe d'études de l'Assemblée nationale sur la pénibilité, la santé au travail et les maladies professionnelles. Il témoigne : "Le nombre de cas répertoriés est en augmentation constante depuis une vingtaine d'années. La réorganisation souvent brutale d'anciennes sociétés publiques telles que France Télécom ou La Poste, la forte pression exercée sur le personnel dans le secteur bancaire et la grande distribution, deux secteurs pourvoyeurs de burn-out, ont attiré notre attention."

Ces initiatives ne sont pas sans rappeler celle lancée par le cabinet d'expertise Technologia il y a un an1 . Elles mettent en avant un syndrome dont le tableau clinique pose toujours question. "Vouloir reconnaître le burn-out tout seul, c'est à la fois trop et pas assez", souligne Alain Carré, médecin du travail. Il a participé pour la CGT à un groupe de travail du Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct) chargé de faire avancer la reconnaissance des maladies psychiques. Ce groupe en a retenu et défini trois : le stress post-traumatique, l'anxiété généralisée et la dépression. Pour Alain Carré, la notion de burn-out "est à la fois trop vaste, parce qu'elle ne s'arrête pas à des phénomènes psychiques liés seulement au travail, et en même temps pas assez, parce qu'elle réduit la pathologie psychique à l'épuisement professionnel". Il propose de "pousser la réflexion plus loin pour l'élaboration de définitions plus précises".

Repères

Eurogip, organisme spécialiste des questions d'assurance et de prévention des risques professionnels au niveau européen, a publié en février 2013 un rapport intitulé Quelle reconnaissance des maladies psychiques liées au travail ? Etude sur dix pays européens. Celui-ci révèle que la plupart des pays ne prévoient la reconnaissance des troubles psychiques liés au travail que dans le cadre d'un système complémentaire où les victimes doivent apporter la preuve du lien direct et essentiel entre leur pathologie et leur activité. Sauf au Danemark, où le stress post-traumatique (et non le burn-out) est reconnu comme maladie professionnelle depuis 2005. Rapport disponible sur www.eurogip.fr

La nouvelle directrice des Risques professionnels à la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam-TS), Marine Jeantet, demeure elle aussi prudente : "C'est un sujet très politique et très polémique. Nous ne faisons aucun blocage pour aller vers une meilleure reconnaissance, mais je pense que l'on met beaucoup de choses derrière le terme "burn-out". Commençons par bien définir les pathologies." Elle rappelle qu'en 2013, 512 dossiers de troubles psychosociaux ont été déposés auprès des comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (C2RMP), soit le système complémentaire prévu pour les pathologies hors tableaux. Parmi eux, 239 ont donné lieu à une reconnaissance de l'origine professionnelle des troubles. Soit près d'un sur deux. Un résultat en augmentation par rapport aux années antérieures, sans doute dû aux recommandations du groupe de travail du Coct, qui ont clarifié et facilité le traitement des demandes. Ces recommandations listent notamment les éléments qui doivent permettre aux médecins-conseils et aux C2RMP de valider ou non un lien direct et essentiel entre la pathologie et le travail (voir "En savoir plus"). "Sur ce plan, les travaux que nous avons effectués au Coct représentent une véritable avancée", estime Marie Pascual, médecin du travail et représentante de la CFDT au sein du groupe de travail.

Parcours du combattant

"Le C2RMP, oui, il faut s'appuyer dessus, considère pour sa part Bernard Salengro, représentant de la CFE-CGC au comité permanent du Coct. L'inconvénient, c'est que là, nous ne sommes plus dans le système de la solidarité mais dans le régime de la preuve. Cela change la donne pour le salarié. C'est souvent le parcours du combattant." Marie Pascual et Alain Carré s'accordent à dire que les éléments retenus par le groupe de travail permettraient déjà d'établir un tableau de maladie professionnelle. Jean-Luc Raymondaud, représentant CFDT à la commission des pathologies professionnelles du Coct, confirme : "Nous aurions au moins pu établir un tableau sur le stress post-traumatique. C'est une atteinte psychique aujourd'hui très bien documentée."

Seul obstacle : le patronat, dont le représentant au Coct n'a pas souhaité répondre à notre sollicitation et qui refuse tout tableau sur les maladies psychiques, principalement au motif du coût généré pour les entreprises. Un argument vivement contesté par Bernard Salengro : "Les indemnisations du régime accidents du travail-maladies professionnelles sont les plus faibles qui soient. Elles sont forfaitaires. Il n'y a pas de réparation intégrale. Au nom de la présomption d'imputabilité, qui prétend protéger les salariés, on organise surtout une immunité civile qui protège les employeurs des démarches judiciaires. Aux Etats-Unis, cela leur coûte bien plus cher."

La question du coût des pathologies psychiques liées au travail se pose néanmoins au niveau social et économique. En 2011, l'Allemagne avait évalué à 27 milliards d'euros leur coût sanitaire. Le manque à gagner pour les entreprises était, lui, chiffré entre 8 et 10 milliards d'euros par an. "La France a un gros retard sur ces questions par rapport à ses voisins européens, reconnaît Marine Jeantet. Nous disposons de très peu de données médico-économiques."

Les récentes initiatives sur le burn-out vont-elles inciter les pouvoirs publics à proposer un projet de texte permettant la reconnaissance des maladies psychiques liées au travail ? "Nous allons voir, répond Régis Juanico. La question du travail a été complètement cannibalisée par celle de l'emploi. Nous devons penser la qualité de vie au travail comme facteur de l'emploi de demain."

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    Lire "Tableau sur le burn-out : une fausse bonne idée ?", Santé & Travail n° 86, avril 2014.

En savoir plus
  • "Recommandations sur les documents nécessaires pour l'évaluation du lien de causalité entre une affection psychique et les conditions de travail par les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP)", Références en santé au travail n° 139, septembre 2014, INRS. Consultable sur www.inrs.fr