Deux procès, un principe

par Stéphane Vincent rédacteur en chef adjoint / janvier 2014

2014, année du procès de l'amiante ? Il ne s'agit pas d'une bonne résolution de Nouvel An, mais d'une perspective crédible, suite à deux arrêts rendus par la chambre criminelle de la Cour de cassation le 10 décembre. Le premier jugement a confirmé la mise en examen des principaux dirigeants d'Eternit, entreprise qui fabriquait des matériaux amiantés. Le second a maintenu les mises en examen de personnalités ayant participé aux travaux du Comité permanent amiante (CPA), structure de lobbying créée en 1982 par les industriels de l'amiante pour éviter des mesures de prévention trop contraignantes et dissoute en 1995.

Concernant Eternit, les recours ayant été épuisés, le procès est annoncé. La décision de la Cour suprême était d'autant plus attendue que cette entreprise est à l'origine d'un très grand nombre de victimes et qu'à Turin le principal dirigeant de sa branche italienne a été condamné à dix-huit ans de réclusion.

Pour le CPA, la décision de la Cour, plus inattendue, a une tout autre portée. Elle ouvre en effet la possibilité de juger les responsabilités des industriels, des scientifiques et des représentants de l'Etat qui ont siégé dans cette instance. Si procès il y a, il sera celui d'un système où les pouvoirs publics, refusant de prendre les mesures de prévention qui s'imposaient, s'en sont remis aux acteurs économiques directement concernés pour évaluer le risque et décider de ce qu'il fallait faire. Ce sera le procès de l'"usage contrôlé" de l'amiante, prôné par les industriels au mépris des connaissances scientifiques, alors qu'il n'a jamais existé dans les faits et ne pouvait protéger ni les salariés ni les utilisateurs. Pour la première fois, des dirigeants risquent ainsi de voir leur responsabilité personnelle engagée pour avoir promu ou couvert ce type de compromis, en laissant aux industriels la possibilité de privilégier leurs intérêts économiques au détriment de la santé des salariés. Espérons aussi que cela sera assez dissuasif pour remettre en selle le principe de précaution.

Appliqué à l'amiante, ce principe aurait évité des milliers de morts. Or, encore aujourd'hui, son application est loin d'être évidente. Prenons le cas des nanoparticules. En 2012, 500 000 tonnes de ces substances ont été commercialisées en France. On en trouve partout. Comme l'amiante. Si leur toxicité pour l'homme n'est pas avérée, faute d'études suffisantes, certaines d'entre elles sont néanmoins suspectées d'avoir des effets sur l'organisme. L'Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) avait d'ailleurs réclamé en 2008 l'application du principe de précaution les concernant. Depuis, malgré quelques mesures de suivi, on est resté dans le laisser-faire, ces substances représentant un atout compétitif pour l'industrie française. Résultat : si les industriels qui les fabriquent annoncent avoir pris des mesures de précaution, dans la plupart des entreprises utilisant des matériaux composés de nanoparticules, les salariés y sont exposés sans le savoir, comme l'a montré un colloque organisé par la CFDT1

Une fois encore, les enjeux économiques semblent avoir pris le pas sur la prudence nécessaire. On ne peut que souhaiter que cela change. Une bonne résolution pour 2014.