© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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"Développer le pouvoir d'agir"

par Isabelle Mahiou / juillet 2008

Titulaire de la chaire de psychologie du travail du Cnam1 , Yves Clot vient d'organiser le premier colloque international sur la clinique du travail. Avec un objectif : permettre aux salariés de reprendre la main sur leurs situations de travail.

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    Conservatoire national des arts et métiers.

Pourquoi organiser un colloque sur la clinique du travail aujourd'hui ?

Yves Clot : La question du travail, après une phase d'illusion sur la capacité des techniques à affranchir les hommes de ses difficultés, a repris une place centrale dans la société. C'est la racine sociale de la clinique du travail. Ensuite, il y a une maturation des approches théoriques : celle de la psychodynamique du travail, depuis les années 1980, et celle de la clinique de l'activité, depuis presque quinze ans. Sans oublier d'autres travaux, comme ceux de Dominique Lhuilier, de la chaire de psychologie du travail du Cnam, avec qui nous avons organisé ce colloque. Cette initiative vise à structurer un champ de connaissances qui concerne de nombreuses disciplines - psychologie, sociologie, histoire, médecine... - et à installer entre elles une discussion scientifique.

Dans votre dernier ouvrage, Travail et pouvoir d'agir, vous développez une approche qualifiée de "clinique de l'activité". Que recouvre-t-elle ?

Y. C. : C'est un domaine de connaissance qui est aussi un domaine d'action. On n'est pas dans une problématique de mise en visibilité de la souffrance. La clinique de l'activité a en perspective la transformation des situations de travail, une intervention auprès des collectifs de travail. Il s'agit de développer le pouvoir d'agir de ces derniers, c'est-à-dire la possibilité pour eux de reprendre la main sur leur situation de travail. Cela passe par l'expérience du désaccord, par la confrontation des points de vue sur les critères du travail bien fait. La coopération se construit dans la controverse professionnelle, loin de l'idée convenue d'une homogénéité du collectif. Quand on restaure un débat d'école entre les salariés sur leur façon de travailler, on élargit la gamme des gestes professionnels, le clavier commun sur lequel chacun peut jouer sa musique à lui. On recrée du collectif en chaque individu. Se retrouver ainsi dans une histoire professionnelle qui n'est pas que la sienne, dans un métier, est très important pour la santé. A contrario, ne jamais tirer aucune fierté de ce que l'on fait, ne pas pouvoir se reconnaître dans "quelque chose", pousse à une quête éperdue de reconnaissance par autrui.

Plus précisément, qu'entendez-vous par "pouvoir d'agir" ?

Y. C. : C'est un peu le rayonnement de l'activité, la manière dont individuellement et collectivement on parvient à faire autorité dans le travail. C'est la création professionnelle retrouvée, qui donne la capacité de dialoguer avec tous quand c'est possible. Et aussi le pouvoir de résister au pouvoir quand c'est nécessaire. Entre sens et efficience, la reconquête de la qualité du travail est au coeur du développement du pouvoir d'agir. C'est ce qui permet de se sentir actif quand on agit. Dans trop de situations de travail actuelles, une suractivité factice finit par imposer une passivité psychologique dangereuse pour la santé.

Quel premier bilan tirez-vous du colloque ?

Y. C. : Avec Dominique Lhuilier et tous les collègues de la chaire de psychologie du travail, nous sommes maintenant chargés d'une vraie responsabilité. Pas moins de 800 personnes, des chercheurs, des médecins du travail, des syndicalistes, des responsables de ressources humaines... qui trouvent un espace où délibérer de leur propre action : c'est un franc succès. Sur le plan scientifique, on a commencé à s'habituer à l'existence de différences entre les approches théoriques. Et ces différences n'ont pas été indifférentes les unes aux autres. Il faut persévérer dans cette confrontation de façon à ce que l'activité de chaque courant se développe.

En savoir plus
  • Travail et pouvoir d'agir, par Yves Clot, coll. Le travail humain, PUF, 2008.