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Quelle médecine pour le travail ?

par François Desriaux / janvier 2018

Dès le premier article du Code du travail consacré aux missions du médecin du travail, l'ambiguïté est de mise. Il doit "éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail". Sauf à imaginer qu'il dirige les entreprises, il n'a pas le pouvoir d'éviter les risques. Tout juste peut-il surveiller, repérer, protéger et proposer, voire alerter et témoigner. C'est déjà beaucoup. Accomplir tout cela relève de l'exploit, tant les nombreuses réformes de l'institution sont passées à côté du sujet.

Ainsi, alors que la détermination de l'aptitude est un non-sens scientifique et éthique, celle-ci a survécu pour certains risques, comme le risque chimique. Franchement, peut-on être apte à être exposé à des cancérogènes ? Ainsi encore, alors que les troubles musculo-squelettiques et les risques psychosociaux constituent des problèmes de santé publique majeurs, nombre de salariés exposés ne verront plus qu'exceptionnellement un médecin du travail.

Bref, alors que les salariés n'ont jamais eu autant besoin d'un suivi médical du travail, ce dernier est réduit aux acquêts. Pourtant, la médecine du travail est un pilier de la prévention et, dans ce dossier, on vous explique comment on peut faire avec elle... malgré ses défauts.

© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

Un dossier pour thésauriser la santé au travail

par Huguette Martinez médecin du travail / janvier 2018

Le dossier médical en santé au travail permet de recenser les données concernant le travail et la santé du salarié, de même que les avis et propositions du médecin. Un outil indispensable que les praticiens ont parfois du mal à renseigner. Explications.

Le dossier médical en santé au travail (DMST) est une pièce importante du dispositif de prévention. Selon la Haute Autorité de santé (HAS), il doit aider le médecin du travail à apprécier le lien entre l'état de santé du travailleur, son poste et ses conditions de travail, à proposer des mesures en matière de prévention ou d'aménagement de poste et des conditions de travail, ou de maintien ou non dans l'emploi.

 

Informations sur les emplois occupés

 

Le DMST permet aussi la traçabilité des expositions professionnelles, des informations et des conseils de prévention délivrés au travailleur. Le médecin du travail peut ainsi participer à la veille sanitaire en santé au travail, en faisant le lien entre la santé du travailleur et ses expositions antérieures.

Le contenu du DMST est précisé par l'article L. 4624-8 du Code du travail : "Un dossier médical en santé au travail, constitué par le médecin du travail, retrace dans le respect du secret médical les informations relatives à l'état de santé du travailleur [...]. Les conditions de sa conservation et de son utilisation ou celles de son ouverture par d'autres professionnels de santé sont traitées dans plusieurs articles du Code du travail (D. 4625-33, L. 4624-7, R. 1262-9, R. 4412-55, R. 4426-8, R. 4624-12, R. 4624-26, R. 4625-17).

Outre l'identité du professionnel de santé et le nom du service de santé au travail en charge du dossier, ainsi que la date et le type des visites médicales, le DMST doit comporter des informations socio-administratives permettant d'identifier sans risque d'erreur un travailleur : identité, adresse, date de naissance, reconnaissance en qualité de travailleur handicapé, notion d'invalidité... Il doit bien entendu contenir des informations sur l'emploi occupé par le salarié et ses activités, afin d'identifier les expositions professionnelles actuelles et antérieures, ainsi que les fiches de poste, les fiches pénibilité et individuelles d'exposition fournies par l'employeur, voire d'éventuelles études de poste.

Du côté de la santé du travailleur, afin d'évaluer le lien entre celle-ci et le travail actuel ou passé, le DMST doit intégrer les symptômes constatés, les signes cliniques, les résultats des examens complémentaires, toute maladie professionnelle diagnostiquée. Enfin, il doit, comme indiqué plus haut, comprendre les propositions et avis du médecin du travail concernant les moyens de protection, les propositions d'amélioration ou d'adaptation de poste...

 

Besoin d'un Vocabulaire partagé

 

Dans un sens plus pratique, et afin d'assurer la continuité du suivi médical du travailleur par différents médecins, la HAS recommande l'utilisation d'un thésaurus commun, avec des termes partagés, pour rendre compte des éléments cliniques et des expositions professionnelles.

Malgré ces conseils, la bonne tenue du DMST rencontre des obstacles. Le principal étant que, dans la configuration actuelle des services de santé au travail, les professionnels de santé n'ont pas les moyens de suivre toutes les recommandations de la HAS. Les dispositions des récentes réformes - médecins du travail éloignés du terrain, espacement des visites médicales - entraînent une perte d'informations sur l'état de santé des travailleurs, avec des difficultés pour repérer les signes précoces d'altération de la santé. Concernant les risques professionnels, les fiches de poste sont rarement adressées par l'employeur au médecin et l'évaluation de certains risques (psychosociaux ou chimiques) est souvent insuffisante dans le document unique. Enfin, la transmission des dossiers antérieurs, notamment entre différents services de santé au travail, demeure problématique.