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Managers au bord de la crise de nerfs

par Stéphane Vincent / juillet 2017

Cheville ouvrière des organisations dans le privé et le public, l'encadrant de proximité n'est pas épargné par l'intensification et la rationalisation du travail. Après tout, c'est un salarié. Mais pas comme les autres. Il doit en effet jouer ce rôle d'interface entre le haut, la direction, et le bas, son équipe. Faire appliquer des consignes conçues de plus en plus souvent loin du terrain, tout en apportant le soutien nécessaire à ceux qui doivent les appliquer. Etre auprès de ses troupes et à de multiples réunions, tout en devant renseigner les indicateurs de gestion. Préserver la santé de ses collaborateurs, tout en s'assurant de l'atteinte des objectifs fixés par l'entreprise. Autant d'injonctions qui peuvent s'avérer contradictoires, transformant le travail quotidien de régulation des encadrants, complexe mais riche de sens, en une médiation impossible. Nombre d'entre eux ont ainsi le sentiment de manager par défaut, de faire un travail de mauvaise qualité. En devant parfois rogner sur leur vie privée... ou leur santé physique et psychique. Certains ont une solution : libérer l'entreprise de tout encadrement. Un raccourci qui occulte l'importance du travail réalisé par ce dernier et que les salariés auront à gérer s'il n'existe plus. Il devient donc urgent de se pencher sur la situation des managers, car les difficultés qu'ils affrontent ont des répercussions sur les salariés et leur prévention serait bénéfique à tous.

"Les encadrants n'osent généralement pas protester"

par Martine Rossard / juillet 2017

Joël Boursereau, délégué syndical central CFE-CGC chez Stelia Aerospace, filiale d'Airbus, a été manager pendant quinze ans. Il témoigne des difficultés rencontrées par les encadrants pour s'exprimer sur leurs conditions de travail.

Quels sont, d'après vous, les principaux problèmes de conditions de travail rencontrés par les encadrants ?

Joël Boursereau : L'encadrement, dans l'aéronautique et ailleurs, est fréquemment confronté à une surcharge de travail et, depuis la mise en place du forfait jours, à des journées à rallonge. Réservé aux seuls cadres autonomes, le forfait jours a été généralisé, parfois à la demande des intéressés, supprimant pour tous la référence à un temps de travail. Les 35 heures n'existent pas pour les cadres. Le seul garde-fou reste la durée minimale obligatoire de 11 heures de repos entre deux jours de travail. Mais elle permet des journées d'une amplitude très importante, jusqu'à 13 heures. Il n'est pas rare que des encadrants soient sollicités dans la même journée à une réunion à 7 h 30 du matin, puis à une autre à 18 heures. En cas de surmenage ou de stress, peu d'entre eux sont capables d'alerter à temps leur hiérarchie ou d'aller voir le médecin du travail. On voit se multiplier les arrêts maladie d'une semaine et des jours d'arrêt pris in extremis sur des jours de RTT. Mais c'est tabou. Les encadrants n'osent généralement pas protester ou exprimer un désaccord.

Pourquoi hésitent-ils à exprimer leurs doléances ?

J. B. : Confrontés à l'individualisation des salaires et des promotions, aux parts variables, les encadrants ne veulent pas présenter des demandes qui nuiraient à leur carrière ou pourraient se traduire négativement sur leur bulletin de salaire. Ils ont perdu la capacité à revendiquer individuellement ou collectivement. De plus, ne pas atteindre ses objectifs est vécu comme un échec individuel et perçu comme un échec professionnel par la hiérarchie. Cependant, certaines directions constatent que l'individualisation des objectifs peut contrarier les intérêts de l'équipe de travail. Elles reviennent donc maintenant à des objectifs collectifs. La démonstration que l'individualisation généralisée s'avère contre-productive constitue un argument pour inciter direction et collègues à réfléchir pour changer la situation. Quelquefois, des séminaires organisés par la direction pour les agents de maîtrise permettent aussi une prise de conscience et une prise de parole.

Comment libérer la parole des encadrants sur leurs conditions de travail ?

J. B. : C'est compliqué de ne pas entrer dans le moule face au rouleau compresseur de la culture du résultat. D'ailleurs, au recrutement, les collaborateurs sont sélectionnés sur leur capacité à tout accepter. Une sensibilisation devrait débuter dès le lycée et les écoles d'ingénieurs, afin que les encadrants soient mieux armés pour résister une fois entrés dans la vie active. Il faudrait aussi renforcer le rôle des services de santé au travail. Et restaurer l'entretien annuel sur la charge de travail en face-à-face avec le responsable hiérarchique, au lieu de simples réponses sur ordinateur.

A la CFE-CGC, nous communiquons beaucoup sur le fait qu'on ne peut pas dépasser ses limites en permanence. Sur le droit à récupérer les dimanches passés en déplacement ou les samedis travaillés pour cause de surcroît de travail. Sur le droit à la connexion choisie. Nous avons réclamé une négociation sur la qualité de vie au travail, notamment pour encadrer les heures de réunion, sans obtenir plus qu'un "groupe de concertation". Nous avons signé en 2014 un accord sur le télétravail, mais il ne concerne que 14 collaborateurs sur 3 000. Certains n'ont jamais fait de demande officielle, après avoir senti les réticences de leur hiérarchie. Nous rappelons aussi que la direction est responsable des conditions de travail et des éventuels problèmes de santé du personnel.