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On a toujours besoin d'un CHSCT

par François Desriaux / avril 2015

Pour une fois, la décision de notre comité de rédaction a été unanime. Face aux menaces pesant sur le devenir du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) après la négociation sur la modernisation du dialogue social et avant la future loi sur ce thème, notre magazine a jugé nécessaire d'intervenir dans le débat.

L'enjeu est fort. Le risque existe que le texte qui sortira du Parlement amoindrisse sérieusement la capacité des représentants du personnel à jouer pleinement leur rôle dans l'amélioration des conditions de travail et la prévention des risques professionnels.

De la même façon que la rationalisation des tâches dans les entreprises et les administrations appauvrit le travail, nous craignons que la rationalisation du dialogue social n'appauvrisse celui-ci. Précisément sur les questions du travail, de son contenu et de son organisation. Au-delà des considérations matérielles - nombre d'élus et d'heures de délégation, capacités judiciaires et d'expertise - qui polariseront le débat, nous avons tenu à démontrer ici que la complexité du sujet "santé au travail" et la nécessité d'adapter la prévention au travail réel justifient à elles seules le maintien d'un lieu de dialogue social spécifique.

Les enjeux d'un dialogue social plus équilibré

par Dominique Lanoë expert CHSCT Laurence Théry directrice adjointe du travail, / avril 2015

Les débats actuels sur la modernisation du dialogue social font peu de cas des difficultés rencontrées par les représentants du personnel dans l'exercice de leurs missions. Au risque de réduire les possibilités d'un dialogue constructif.

Ala faveur de négociations successives, le cadre du dialogue social s'est profondément renouvelé ces dernières années : capacité de négociation accordée aux élus du comité d'entreprise (CE), réforme de la représentativité des organisations syndicales et patronales, nouvelles règles de validité des accords collectifs... Avec un objectif affiché : renforcer la démocratie sociale !

L'accord national interprofessionnel (ANI) de janvier 2013 "pour un nouveau modèle économique et social au service de la compétitivité et de la sécurisation de l'emploi et des parcours" a ainsi créé une nouvelle consultation "sur les orientations stratégiques de l'entreprise et sur leurs conséquences sur l'activité, l'emploi, l'évolution des métiers et des compétences, l'organisation du travail". Cette consultation peut laisser penser que les représentants du personnel sont désormais considérés comme des interlocuteurs essentiels, concourant à la performance des entreprises. Va-t-on pour autant sortir d'une forme de dialogue social "à la française", qui privilégie le conflit et le maintien d'un climat de défiance entre les acteurs ?

On peut en douter lorsque, à la faveur des discussions sur la réforme des seuils sociaux, certains acteurs du débat affirment que les instances représentatives du personnel (IRP) sont un frein à l'embauche, à la création d'emplois, qu'elles alourdissent le fonctionnement des entreprises et représentent un coût supplémentaire sans valeur ajoutée

Un ressort pour la performance

Ces arguments, avancés pour réclamer une "simplification" du dialogue social - ou une réduction des moyens accordés aux représentants du personnel ? -, semblent contredire l'idée que ce dernier puisse être porteur d'une performance économique et sociale.

Si on considère que la qualité et les contenus du dialogue social sont un ressort pour cette performance et que celle-ci est générée avant tout par des pratiques qui favorisent la confiance, la discussion, la coconstruction, on ne peut avoir une vision simplement gestionnaire de la question. L'enjeu d'une réforme ne devrait donc pas être de réduire les coûts directs du dialogue social - temps des échanges, nombre d'acteurs... - mais de développer sa capacité à générer des gains, en lui permettant notamment d'anticiper les écueils liés à certains choix d'investissement, d'organisation du travail... Les représentants du personnel peuvent en effet éclairer les décisions des entreprises en apportant un point de vue spécifique, élaboré au plus près du travail réel, avec les salariés, qui détiennent un savoir empirique tout aussi légitime que celui des directions.

Dès lors, le mode de fonctionnement actuel des IRP est à analyser autrement, notamment le formalisme des élus du personnel, dont on entend la critique aujourd'hui. Ces derniers se retrancheraient derrière les articles du Code du travail pour compliquer la vie des entreprises, au lieu de jouer intelligemment leur rôle... Si des élus peuvent adopter de telles pratiques défensives dans le cadre de leur mission, notamment dans les TPE-PME, c'est souvent face à des situations de blocage, comme le souligne une étude réalisée à partir des résultats de la dernière enquête Relations professionnelles et négociations d'entreprise (Reponse) du ministère du Travail1 . Ou en réaction à un profond sentiment d'impuissance, qui transparaît dans une récente enquête menée par un cabinet d'expertise auprès de 1 000 élus de CE et de CHSCT2

La façon dont les représentants du personnel exercent leur mandat est le reflet des difficultés qu'ils doivent affronter aujourd'hui. Ont-ils les moyens et la formation nécessaires pour traiter les multiples sujets, parfois complexes, auxquels ils sont aujourd'hui confrontés ? Selon l'enquête conduite par le cabinet d'expertise qui est citée précédemment, un élu sur deux a déjà rencontré une situation de suicide et de tentative de suicide d'un salarié, dans trois cas sur quatre à l'annonce de suppressions massives d'emplois, dans neuf cas sur dix lors d'un projet de réorganisation ou de mobilité...

Ces sujets exigent des compétences, un contact avec les salariés, des temps d'échange avec les directions ou les institutions... Or le rythme des projets sur lesquels les représentants du personnel ont à se prononcer n'est pas toujours compatible avec l'exercice de leur mission. Comment peuvent-ils par ailleurs assumer plusieurs mandats en même temps dans le contexte actuel de "crise de vocation" syndicale ?

Des élus sous tension

Pour nombre d'élus, l'autre enjeu consiste à devoir conjuguer tout cela avec une activité professionnelle. Les heures de délégation dont ils disposent peuvent parfois être insuffisantes. En outre, peuvent-ils prendre ces heures de délégation sans que leur absence n'induise une charge de travail supplémentaire pour leurs collègues ou pour eux-mêmes ? Toujours dans l'enquête menée auprès d'élus de CE et de CHSCT, ces derniers soulignent, neuf fois sur dix, que leur mandat nécessite un investissement important en temps et qu'ils ont de ce fait des difficultés à prendre du recul.

Le travail des représentants du personnel a ainsi fortement tendance à s'intensifier, générant sa part de souffrance face à l'ampleur de la tâche, aux obstacles ou contraintes pour l'assumer. Si l'on en croit l'enquête Reponse, les représentants du personnel syndiqués ont cinq fois plus de risque de connaître une dégradation de leurs conditions de travail que les représentants non syndiqués3 . L'autre enquête montre que la moitié d'entre eux sont confrontés à des manifestations d'hostilité dans le cadre de leur mandat. Pour trois élus sur quatre, cela a des impacts sur leur activité professionnelle et leur vie hors travail.

Les discussions en cours sur la réforme du dialogue social, et notamment la proposition de fusionner les différentes IRP en une instance unique , font peu de cas de ces réalités et du fait que 68 % des entreprises de 11 à 19 salariés n'ont pas de délégués du personnel, faute de candidats ! Partir de l'effectivité des règles qui permettent l'exercice des mandats des représentants du personnel serait une orientation autrement plus novatrice que celle qui nous est aujourd'hui proposée. Dans le contexte actuel, la fusion des IRP risque de noyer un peu plus les élus du personnel, qui devront traiter les différents sujets portés par une instance unique aux tâches démultipliées. Et celle-ci pourrait vite devenir le lieu de débats plus éloignés des enjeux du travail, du fait d'une distance plus grande entre les salariés et leurs représentants, réduisant la possibilité pour ces derniers de construire un point de vue éclairé et argumenté. Soit tout le contraire d'un renforcement de la démocratie sociale en entreprise.

  • 1

    Les régulations de la relation d'emploi à l'épreuve de la crise, Elodie Béthoux et Arnaud Mias (dir.), rapport pour la Dares, Idhes, 2014.

  • 2

    "Risques psychosociaux, des représentants du personnel sous tension ! Résultats de l'enquête auprès des élus", Apex-Isast, octobre 2014.

  • 3

    "Les représentants du personnel. Quelles ressources pour quelles actions ?", par Mathilde Pak et Maria Teresa Pignoni, Dares Analyses n° 84, novembre 2014.