" Etre des sentinelles au quotidien "

par Joëlle Maraschin / juillet 2011

Dans un ouvrage cosigné avec une avocate et un médecin-inspecteur du travail, la psychologue Marie Pezé fournit aux salariés les outils d'action contre la maltraitance forgés par le réseau de consultations " souffrance et travail ".

Votre dernier livre, Travailler à armes égales,appelle à la mobilisation de chacun contre la souffrance au travail. Pourquoi ce plaidoyer aujourd'hui ?

Marie Pezé : C'est un livre-testament. Travailleuse handicapée à 80 %, j'ai été licenciée en 2010 pour inaptitude à mon poste de travail par l'hôpital de Nanterre. La consultation " souffrance et travail " dont j'étais responsable est depuis fermée, et c'est une fenêtre ouverte sur la clinique du travail qui disparaît. Tout cela est symptomatique du déni de la souffrance au travail dans notre société. Il est aujourd'hui nécessaire de transmettre aux salariés l'ensemble des savoir-faire accumulés depuis quinze ans dans les consultations " souffrance et travail "1 . Car ce livre s'adresse au premier chef au sujet qui travaille, maillon de résistance essentiel à mobiliser. Il s'agit que tout un chacun puisse avoir accès à des outils pratiques pour se défendre et défendre les autres. Dans ces temps de solitude au travail, nous devons tous être des sentinelles au quotidien, attentifs à nos collègues. C'est en surmontant nos peurs, nos petites lâchetés, nos petites cécités que nous pourrons recréer du collectif. La peur que nous éprouvons tous, à un moment ou à un autre, se nourrit de la solitude entretenue, de l'absence de possibilité de délibération autour du travail. Dans nos consultations, nous recevons aujourd'hui des personnes en crise aiguë, complètement démolies par leur travail, pour lesquelles nous tentons de trouver des voies de sortie médico-administratives. C'est un immense gâchis social et humain.

Comment réagir à la souffrance au travail ?

M. P. : Ce livre est une sorte de boîte à outils pour faire face à une situation difficile : mieux maîtriser le droit du travail et les implications d'un contrat, savoir identifier et dénoncer les techniques de management pathogènes, apprendre à décrire son travail et les raisons de sa dégradation, connaître les acteurs de prévention dans et hors de l'entreprise... Nous avons choisi de présenter plusieurs cas cliniques et concrets de souffrance au travail, en montrant comment la situation aurait été différente si les victimes avaient eu accès à une autre grille de lecture. Nous espérons que les salariés iront consulter un peu plus tôt, qu'ils ne brandiront plus le harcèlement moral comme seule arme de défense mais interrogeront plutôt l'organisation du travail. C'est au travers du prisme du harcèlement que tout commence généralement, car le mot exprime bien le vécu d'un salarié submergé d'objectifs ou dépossédé d'un travail investi et qui, faute d'outils pour penser son travail, s'engouffre dans la plainte individuelle. Celle-ci se résume à un conflit de personnes et fait l'impasse sur le travail. Or c'est dans le travail lui-même que réside la vérité de nombreuses situations de souffrance.

Vous avez mis en ligne, le 1er mai, un site " Souffrance et travail ". Quelle est son ambition ?

M. P. : Il s'agit de partager encore plus largement l'expérience du réseau pluridisciplinaire de prise en charge de la souffrance au travail. Nous y offrons des guides pratiques destinés aux travailleurs, aux acteurs de l'entreprise, aux professionnels de santé, aux médecins du travail et aux juristes. Dans chacun de ces vade-mecum, nous préconisons une démarche à suivre, une conduite à tenir. C'est aussi un site interactif et évolutif. Il comporte déjà une partie " Magazine ", qui propose des articles signés par les professionnels du réseau, ainsi qu'une rubrique " Infos utiles ".

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    Réparties sur 21 départements, 35 consultations " souffrance et travail " fonctionnent actuellement.

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