© Nathanaël Mergui/Mutualité française
© Nathanaël Mergui/Mutualité française

Evaluation individuelle : éviter la casse

par Dominique Lanoë ergonome et expert CHSCT / avril 2013

Les entretiens individuels d'évaluation peuvent avoir une incidence sur les conditions de travail. Les CHSCT doivent veiller à ce que leur mise en oeuvre et les critères ou méthodes employés ne portent pas atteinte à la santé des salariés.

Les entretiens individuels d'évaluation (EIE) des salariés ont motivé ces dernières années de nombreuses décisions judiciaires en lien avec les questions de santé au travail. Et les CHSCT ont tout intérêt à se pencher sur leur mise en oeuvre. Ils en ont le droit, conformément à l'article L. 4612-8 du Code du travail, selon lequel le comité "est consulté avant toute décision d'aménagement important modifiant [...] les conditions de travail et, notamment, [...] avant toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail". Ce principe a été confirmé par la jurisprudence, notamment par un arrêt de la Cour de cassation (Cass. soc., arrêt n° 06-21.964, 28 novembre 2007), du fait que les entretiens "pouvaient avoir une incidence sur le comportement des salariés, leur évolution de carrière et leur rémunération, et que les modalités et les enjeux de l'entretien étaient manifestement de nature à générer une pression psychologique entraînant des répercussions sur les conditions de travail".

Prévention : ne pas se tromper d'entretien

Outre les entretiens individuels consacrés à l'évaluation, la réglementation en prévoit d'autres, qui ne doivent pas être confondus avec les premiers. - L'entretien professionnel, mis en place par l'accord national interprofessionnel (ANI) du 5 décembre 2003. A l'initiative du salarié ou de l'employeur, il doit avoir lieu au minimum tous les deux ans. Il porte sur les besoins de formation du salarié, l'amélioration de ses compétences, la mise en place d'un plan d'action.

  • Le bilan d'étape professionnel (art. L. 6315-1 du Code du travail), organisé à la demande du salarié ayant au moins deux ans d'ancienneté. Renouvelable tous les cinq ans, il vise un diagnostic commun avec l'employeur afin d'aider le salarié à construire un projet professionnel, formation à l'appui.
  • L'entretien de seconde partie de carrière (art. L. 6321-1), organisé pour les salariés de plus de 45 ans, dans les entreprises d'au moins 50 salariés. Il vise à informer le salarié sur ses droits à un bilan d'étape professionnel, un bilan de compétences ou une action de professionnalisation.
  • L'entretien annuel obligatoire pour les salariés en forfait jours (art. L. 3121-46), organisé à l'initiative de l'employeur et portant sur la charge et l'organisation du travail, l'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle, la rémunération.
  • L'entretien d'orientation professionnelle à l'issue d'un congé de maternité (art. L. 1225-27).
  • Les entretiens disciplinaires (art. L. 1332-2).

La consultation du CHSCT doit porter sur l'ensemble des éléments nécessaires au processus d'évaluation, y compris sur les référentiels métiers utilisés. A défaut, l'entreprise s'expose à une suspension du dispositif jusqu'à l'issue de la consultation, voire à une interdiction de mise en oeuvre de la procédure d'évaluation. Le comité d'entreprise doit aussi être consulté, au titre des articles L. 2323-27, sur les "problèmes généraux intéressant les conditions de travail résultant [...] des qualifications et des modes de rémunération", et L. 2323-32 : "Le comité d'entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l'activité des salariés."

Rester vigilant

Même si les EIE sont déjà mis en place, l'action du CHSCT reste d'actualité. Il doit intervenir en cas d'incidents ou d'accidents révélant un risque grave pour la santé ou la sécurité. Par exemple, suite à des crises de larmes ou nerveuses consécutives à des entretiens. Le rôle du CHSCT est également de déceler les situations moins visibles. Les salariés jugés "non performants" hésitent à se manifester, par peur d'aggraver leur situation. Or la mise en compétition des salariés générée par les dispositifs d'évaluation peut aboutir à des situations de "mise en quarantaine". Pour les détecter, le CHSCT a intérêt à s'appuyer sur les délégués du personnel, souvent contactés en premier par les salariés en difficulté. Il s'agit aussi de déployer une vigilance particulière lors des modifications du dispositif d'évaluation, parfois non présentées au CHSCT ou annoncées comme mineures, alors qu'elles peuvent changer les relations de travail.

La question des critères comportementaux est souvent l'objet de débats. Le Code du travail ne les interdit pas expressément mais indique clairement que "les méthodes et techniques d'évaluation des salariés doivent être pertinentes au regard de la finalité poursuivie" (art. L. 1222-3). Dans ce cadre, les critères utilisés ne peuvent avoir pour finalité que d'apprécier les aptitudes professionnelles et doivent présenter un lien direct et nécessaire avec cet objectif (art. L. 1222-2). Peut-on évaluer la capacité d'un employé à "agir avec courage" ? Ce type de critères a été rendu illicite (cour d'appel de Toulouse, arrêt n° 111553, 21 septembre 2011). En 2008, le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre a débouté une société d'édition qui utilisait, pour évaluer ses employés, des critères "flous basés sur des valeurs" comme l'intégrité, la responsabilité En conclusion, l'évaluation ne peut reposer que sur des critères objectifs.

Attention aux classements !

Le classement des salariés n'est pas illicite en soi, mais il le devient s'il entraîne des discriminations entre collègues, équipes ou sites. Idem s'il provoque des tensions sociales ou encore s'il est prévu que le salarié ayant deux années de suite la note la plus basse soit licencié économiquement. Les conditions d'attribution des notes doivent pouvoir être contrôlées. A ce sujet, l'évaluation de salariés en référence à des quotas, selon des pourcentages prédéterminés, est illicite, dans la mesure où elle n'est pas fondée sur des critères objectifs et transparents (cour d'appel de Versailles, arrêt n° 10/00567, 8 septembre 2011). De même, un tribunal a récemment suspendu un dispositif de comparaison systématique des salariés entre eux, car ceux-ci n'avaient pas accès aux données (TGI de Lyon, 4 septembre 2012). D'une manière générale, les classements présentent des risques pour les salariés, notamment en termes de dégradation des collectifs de travail.

Quelle que soit la méthode d'entretien, les représentants du personnel doivent informer les salariés de leurs droits et des règles de l'EIE. Ils peuvent également déterminer des points de vigilance :

  • s'assurer du respect de certains droits : grille d'évaluation communiquée au préalable, information, droit de rectification, recours... ;
  • veiller à une séparation nette entre l'EIE et d'autres entretiens obligatoires (voir encadré) ;
  • contrôler la validité des critères d'évaluation, qui ne doivent pas être comportementaux ou servir à remplir des quotas ;
  • demander une consultation en cas de changement des méthodes, moyens, supports ou objectifs des EIE ;
  • exiger que la durée des entretiens soit fixée et connue à l'avance, afin d'éviter tout stress, ou qu'ils ne se déroulent pas pendant des périodes de forte activité, en mode dégradé, pour qu'ils ne renforcent pas les risques psychosociaux inhérents aux évaluations.