Eve Bourgkard : relier les enjeux de santé au travail et environnementaux

entretien avec Eve Bourgkard
par Isabelle Mahiou / juillet 2017

L'épidémiologiste fait le point sur les différences et complémentarités de deux champs de sa discipline, la santé au travail et la santé environnementale, thème d'un récent colloque de l'association qu'elle préside, l'Aderest.

La 6e journée thématique de l'Association pour le développement des études et recherches épidémiologiques en santé-travail (Aderest), le 13 juin, était consacrée aux travaux en santé environnementale et au travail. Quelles sont les différences entre ces deux domaines ?

Eve Bourgkard : Ces deux champs de l'épidémiologie poursuivent le même objectif : comprendre les relations entre expositions et santé et prévenir les risques qui leur sont liés. Ils comportent aussi des différences non négligeables. Les études épidémiologiques en santé au travail concernent une population définie, occupant tels postes, confrontée à tels produits et connaissant des expositions assez fortes. En santé environnementale, la population est plus large, les expositions ne sont pas forcément identifiées, les voies en sont diverses et les niveaux plus faibles qu'en milieu professionnel. Mais les enjeux de santé environnementale ont beaucoup plus d'écho dans la société, dans les médias, que ceux de la santé au travail. Ainsi, alors que les dangers de l'amiante étaient connus depuis longtemps, il aura fallu que le risque soit détecté dans des écoles et à Jussieu pour qu'il soit pris en charge par les pouvoirs publics. Plus récemment, la détection de bisphénol A dans les biberons a conduit à s'interroger sur l'exposition des caissières et à supprimer ce composant du papier thermique des tickets de caisse. Tant que les risques touchent une catégorie sociale de travailleurs, on y prête peu attention. Quand l'exposition est élargie, elle est davantage relayée et il y a un effet d'entraînement sur le milieu professionnel.

En quoi les études menées dans les deux domaines peuvent-elles être complémentaires ?

E . B. : C'est davantage à travers la prise de conscience des risques que les résultats d'une étude dans l'un des domaines peuvent influer sur les recherches dans l'autre. Il y a peu de projets conjoints, mais parfois des exceptions, comme les travaux présentés par l'agence Santé publique France (SPF) en matière d'exposition à l'amiante. Après l'instauration de la déclaration obligatoire du mésothéliome1 en 2012, SPF a lancé une étude pilote visant à améliorer la connaissance des facteurs d'exposition professionnels et environnementaux dans trois populations pour lesquelles les connaissances étaient jugées insuffisantes par les experts : les personnes présentant un mésothéliome hors plèvre, les hommes de moins de 50 ans et les femmes atteintes d'un mésothéliome pleural. L'exploration porte notamment sur les situations extraprofessionnelles d'exposition à l'amiante dues à la proximité d'affleurements naturels ou à celle d'anciens sites industriels d'exploitation ou de transformation de la fibre. Cette approche permet une estimation de l'exposition complète, relative à chacune de ces nuisances. Elle s'inscrit dans le cadre du futur dispositif national de surveillance du mésothéliome articulant surveillance et recherche.

C'est un bon modèle pour améliorer la coordination entre santé au travail et santé environnementale ?

E . B. : En effet, s'il y a à l'agence SPF deux départements distincts qui mènent des travaux dans leurs champs respectifs, ils intègrent dès le départ l'autre dimension. Et l'analyse des données sera commune. On retrouve ce type de connexion dans le domaine des pesticides, avec l'étude de la relation entre expositions professionnelles et environnementales et maladie de Parkinson auprès d'agriculteurs et de riverains non agriculteurs. Mais, dans l'ensemble, il y a peu de ponts entre les deux approches. La recherche reste très compartimentée. Il faudrait davantage se rapprocher, réfléchir à la façon de travailler ensemble.

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    Le mésothéliome est un cancer dont le seul facteur de risque connu est l'exposition à l'amiante. Le plus répandu affecte la plèvre, la membrane enveloppant les poumons.