Carole Taudière (à g.), Elisabeth Laherre (à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française
Carole Taudière (à g.), Elisabeth Laherre (à dr.) - © Nathanaël Mergui/Mutualité française

Expertise CHSCT : qui doit payer ?

par François Desriaux / avril 2016

La ministre du Travail, Myriam El Khomri, a inscrit dans son projet de loi sur le Code du travail des mesures sur le financement des expertises CHSCT qui font débat. Echanges entre le syndicat des experts CHSCT et AvoSial, association d'avocats d'entreprises.

Le projet de loi El Khomri1 propose de mieux encadrer les recours de l'employeur contre une expertise décidée par le CHSCT, notamment en termes de délais, mais aussi de rendre possible le financement de l'expertise par le comité d'entreprise (CE). Que pensez-vous de ces mesures, qui vont être débattues au Parlement ?

Carole Taudière : L'article 18 du projet de loi El Khomri est censé répondre à la décision du Conseil constitutionnel qui, en novembre dernier, a estimé que l'on ne pouvait pas réclamer à l'employeur la prise en charge des frais d'une expertise votée par le CHSCT lorsque celle-ci avait été finalement annulée par le juge [voir "Repères" page 54]. Il faut préciser que c'est un cas rare.

Dans sa version actuelle, l'article 18 propose de limiter le risque financier en imposant un délai au juge pour rendre sa décision en premier et dernier ressort. Cependant, si l'expertise est menée à son terme mais annulée ultérieurement, il est prévu de faire porter ce risque à l'expert, qui serait tenu de rembourser la somme perçue, ou éventuellement au CE, qui pourrait décider de la prendre en charge. Mais on imagine mal un CE utiliser la subvention destinée à ses attributions économiques pour rémunérer une expertise CHSCT dont il n'a ni l'initiative ni le bénéfice... Le problème n'est donc pas réglé. La solution proposée ne suffit pas à limiter le risque financier, puisque l'employeur peut toujours contester la délibération du CHSCT alors même que l'expertise a été réalisée. Surtout depuis que deux arrêts de la Cour de cassation datant de février considèrent que le seul délai opposable à l'employeur pour contester une expertise est le délai de prescription de droit commun de cinq ans prévu par le Code civil ! Il est donc nécessaire que le législateur complète le premier pas du gouvernement en imposant à l'employeur un délai de contestation de la délibération du CHSCT.

Elisabeth Laherre : Ce texte me semble mal pensé et ne résout pas véritablement la problématique relevée par le Conseil constitutionnel. Il suppose que l'employeur saisisse le juge dans le délai de consultation qui lui est imparti, alors qu'effectivement aucun délai légal n'est aujourd'hui fixé. Il prévoit par ailleurs qu'en cas d'annulation définitive de la décision du CHSCT, l'expert remboursera les sommes versées par l'employeur, ce qui sous-entend qu'il aura déjà exécuté sa mission. C'est là que le bât blesse, car la réalisation effective de l'expertise est en contradiction avec la suspension de la décision du CHSCT jusqu'à l'expiration du délai de pourvoi en cassation.

De plus, si la décision du CHSCT est annulée de façon définitive, l'expert devra rembourser l'employeur, et le CE, qui peut à tout moment décider de prendre en charge les frais d'expertise, n'est nullement contraint de le faire. En cas de pourvoi d'un jugement invalidant l'expertise, l'expert exécutera donc sa mission à ses risques et périls. Enfin, vu l'encombrement des tribunaux, il semble totalement irréaliste de penser que le juge judiciaire va pouvoir respecter ce délai de dix jours. Dès lors, l'employeur risque de voir son projet largement retardé, entre la suspension de la procédure de consultation et la reprise éventuelle de l'expertise, selon la décision judiciaire. Ainsi, fort vraisemblablement, beaucoup d'entreprises préféreront renoncer à une contestation judiciaire plutôt que de voir reporter leur projet de façon indéterminée.

Ne serait-il pas plus simple d'instaurer un budget de fonctionnement propre au CHSCT ?

E. L. : Dans l'absolu, oui. Mais, dans le contexte actuel, il n'est pas possible d'alourdir davantage les charges des entreprises. Il faudrait plutôt que l'actuel budget de fonctionnement du CE bénéficie aux deux instances, CE et CHSCT. Cela permettrait de mettre fin à cette aberration qui veut que l'employeur paye les honoraires de l'avocat du CHSCT, y compris quand ce dernier perd le procès. La mise en place d'institutions uniques, telles que prévues par la loi Rebsamen, milite pour l'instauration d'un budget de fonctionnement commun pour les deux institutions. De façon plus générale, il faudrait également réfléchir à une participation financière systématique du CE aux frais d'expertise. Cela n'est prévu actuellement que pour l'examen des orientations stratégiques. Ce paiement par les institutions représentatives du personnel mettrait sans doute fin à la dérive financière à laquelle on assiste pour certaines expertises du CHSCT.

C. T. : Vos propos illustrent bien la tentation, avec les regroupements d'instances, de faire peser la charge du fonctionnement du CHSCT sur le budget du CE, ce qui limiterait considérablement les leviers d'action déjà restreints du CHSCT comme du CE, qui se verrait amputé d'une partie de son budget. Par ailleurs, l'idée de faire prendre en charge les frais d'expertise CHSCT par le CE ou celle d'attribuer un budget au CHSCT aux fins spécifiques de financer des expertises ne peuvent être des solutions adéquates. En effet, les recours à expert, rares dans la vie d'un CHSCT, découlent toujours de motifs ponctuels, soit des projets de l'employeur modifiant les conditions de travail, soit des risques graves. Utiliser un budget annuel, nécessairement limité, pour financer des expertises par nature très variables sur un exercice donné reviendrait donc à conditionner le recours à expert aux capacités financières de l'année en cours. Et donc à priver le CHSCT de cette prérogative dès lors que ses caisses seraient vides. Cela remettrait complètement en cause l'esprit de la loi.

Au-delà du budget de fonctionnement, du nombre d'élus et des heures de délégation, le manque de moyens est une plainte régulière des CHSCT. Ne faudrait-il pas que la réglementation évolue sur ce point, en fonction par exemple de l'organisation de l'entreprise, de son éclatement géographique ou du nombre de métiers ?

C. T. : Les élus que nous rencontrons sont en effet souvent confrontés à un manque de moyens qui entrave leur action. Pouvoir prendre ses heures de délégation ou accéder aux formations spécifiques, par exemple, constitue déjà un enjeu de taille dans certaines entreprises... Au-delà, votre question doit être envisagée au regard des pratiques de terrain. Les élus du CHSCT exercent leurs missions au plus près des travailleurs et doivent repérer les problèmes, coordonner les acteurs de la prévention et formuler des avis sur des sujets complexes.

Derrière la question des moyens, c'est aussi celle des compétences qui est posée : comment sont-elles construites, valorisées et transmises entre deux mandats pour assurer un processus durable d'amélioration des conditions de travail ? Les évolutions réglementaires devraient s'attacher à répondre à ces enjeux. Or certains changements récents tendent plutôt à fragiliser les moyens du CHSCT. Les regroupements d'instances au sein des DUP [délégations uniques du personnel, NDLR] impliquent des élus "multicasquettes", non spécialistes des conditions de travail et en nombre réduit ; les prérogatives de l'instance de coordination sont renforcées au détriment des CHSCT locaux, mais sans les moyens dédiés qui permettraient qu'elle soit le lieu d'un véritable débat sur la politique de prévention dans l'entreprise.

E. L. : La réglementation n'a pas besoin d'évoluer, puisque les périmètres des CHSCT sont justement fonction de l'organisation, des métiers et de l'éclatement géographique et que les moyens peuvent être négociés par voie d'accord dans chaque entreprise selon sa spécificité. Il faut arrêter cette surenchère législative et réglementaire. S'il y avait un budget commun, la question des moyens ne se poserait plus, le budget de fonctionnement des CE étant sous-utilisé. Quant aux compétences, il s'agit essentiellement d'une question de choix des représentants, la formation étant en outre financée par l'entreprise.

Trois ans après la loi sur la sécurisation de l'emploi, qui a encadré les expertises et raccourci les délais, quel bilan tirez-vous ? Est-ce que cela n'a pas renforcé le formalisme de la démarche au détriment du fond du sujet ?

E. L. : Nous n'avons pas constaté de dégradation de la qualité des rapports fournis. Bien au contraire, cet encadrement a apaisé les relations : les délais ont cessé d'être un enjeu, ce qui a conduit à réduire le nombre de contentieux. Par ailleurs, il n'y a pas de réel raccourcissement des délais légaux d'expertise, sauf pour les licenciements collectifs portant sur moins de 100 salariés. L'article R. 4614-18 prévoyait déjà que l'expertise devait être réalisée dans le délai d'un mois, porté à 45 jours maximum. Le délai de consultation des CE étant de trois mois lorsqu'il y a consultation du CHSCT, et l'avis du CHSCT devant être transmis au CE sept jours avant cette date butoir de consultation, l'expert peut largement bénéficier des 45 jours prévus par ce texte. Ce n'est qu'en cas de plan de sauvegarde de l'emploi portant sur moins de 100 salariés que le délai est un peu plus court, puisque le rapport doit être remis 45 jours après la nomination de l'expert. Le problème essentiel réside dans le fait que les experts CHSCT ont du mal à s'adapter à cette nouvelle contrainte, car ils n'avaient jamais respecté la précédente, en tardant à envoyer leur lettre de mission et demande d'informations et en soutenant que ce délai de 45 jours (et jamais de 30) ne courait qu'à partir du moment où ils avaient la totalité de l'information. On assiste ainsi actuellement à des comportements surprenants de la part de certains experts, qui subordonnent le respect des délais légaux à une majoration de leurs honoraires. Or, comme pour toute activité de conseil, ils doivent s'adapter aux délais imposés par leurs clients ou à leurs clients. Ils le doivent d'autant plus que leurs tarifs sont particulièrement élevés, profitant du fait que le payeur (l'employeur) n'est pas le client (le CHSCT).

C. T. : En théorie, le délai pour les projets - hors les cas de plan de sauvegarde de l'emploi - est bien de trois mois. Mais, en pratique, il est souvent réduit de moitié, car la loi ne précise pas le point de départ de la consultation du CHSCT. De fait, elle tarde à démarrer, ce qui contraint fortement le travail des élus ainsi que celui de l'expert, dont les honoraires ont en fait été diminués avec la loi sur la sécurisation de l'emploi et demeurent en tout cas très inférieurs aux coûts des conseils aux directions d'entreprise. C'est aussi la qualité de l'information qui pose problème : les dossiers remis au CHSCT restent souvent lacunaires, sans véritable analyse des impacts du projet, ni évaluation des risques, ni réflexion sur les mesures de prévention... Dans ce cas, la consultation n'est qu'un simulacre. Même lorsque le CHSCT exprime dans son avis un point de vue argumenté assorti de recommandations, il ne fait que très rarement l'objet d'une réponse motivée de la part de l'employeur, pourtant prévue par les textes, ce qui prive la consultation de tout effet utile, donc de sens.

  • 1

    Tel qu'il est connu au jour de ce débat