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Risques industriels : éviter de nouvelles catastrophes

par François Desriaux / janvier 2014

Sommes-nous bien protégés des risques industriels ? On ne va pas se mentir, la réponse est plutôt négative. Et c'est pour cela que nous publions ce dossier, "à froid", pour faire réfléchir les acteurs. Non, la situation dans les industries à risque n'est pas aussi sûre qu'elle devrait l'être. Sans doute pas à cause d'une insuffisante maîtrise technologique : en France et dans la majorité des pays développés, nous avons des ingénieurs compétents, capables de concevoir des installations sophistiquées, des automatismes et des procédures prévoyant un maximum de situations. Sauf qu'on aurait tort de croire que tout peut être prévu et réglé. Les causes profondes des grandes catastrophes industrielles, Bhopal, Tchernobyl, AZF, pour ne citer que les plus connues, sont d'origine organisationnelle. Or, de ce point de vue, si les industries à risque ont fait d'indéniables progrès sur la prise de conscience du poids de l'organisation du travail dans la construction d'une culture de sécurité, elles n'échappent pas au renforcement des contraintes de temps, aux politiques de sous-traitance, à la rationalisation des tâches, aux risques psychosociaux... Autant de dégradations des conditions de travail qui entraînent des difficultés de coopération, de partage et de mise en débat des expériences, indispensables pour garantir un bon niveau de sécurité industrielle. Miser sur l'intelligence des opérateurs est aussi crucial que de parier sur celle des experts.

"Faire bouger les lignes prend du temps"

par Nathalie Quéruel / janvier 2014

Diffuser les acquis scientifiques en matière de prévention au sein des industries à risque, c'est l'objectif d'Ivan Boissières et de l'Institut pour une culture de sécurité industrielle (Icsi), qu'il dirige. Un travail de longue haleine.

Qui sont les fondateurs de l'Icsi et quels étaient leurs objectifs ?

Ivan Boissières : La création de l'Institut en 2003 fait suite à l'explosion de l'usine AZF de Toulouse. L'initiative a été portée par huit membres fondateurs - Total, EDF, ArcelorMittal, Airbus, la région Midi-Pyrénées, la communauté urbaine de Toulouse, le CNRS et l'Institut polytechnique de Toulouse - après une prise de conscience collective de la nécessité de développer une culture de sécurité industrielle, afin de prévenir le risque majeur.

L'originalité de la démarche est d'impliquer toutes les parties prenantes de la sécurité industrielle - des entreprises aux organisations syndicales et associations, des collectivités territoriales aux établissements de formation et organismes de recherche - et d'avoir une approche multidisciplinaire. Nous voulons traduire les acquis scientifiques de haut niveau, notamment ceux des sciences humaines et sociales, en méthodes et outils opérationnels sur le terrain. Mais nous ne sommes pas des consultants : nous transférons les connaissances aux entreprises, en les accompagnant et en formant leurs responsables, y compris les cadres supérieurs, pour qu'elles se les approprient.

Comment cette approche modifie-t-elle la perception du risque industriel et les pratiques de prévention ?

I. B. : Nos groupes d'échange réunissent tous les acteurs dans un espace neutre qui permet de partager expériences, points de vue et bonnes pratiques sur des thématiques précises, comme les facteurs humains et organisationnels, les études de danger, la sous-traitance, etc. Les opinions ne sont pas forcément convergentes, mais le document de synthèse exprime un compromis sur les actions qui peuvent être mises en oeuvre sur un sujet : publication de documents, élaboration d'un projet de formation, définition d'un programme de recherche. Mais il n'est pas aisé de mettre en application les apports de la théorie en situation de terrain. La sécurité industrielle dépend fortement de la culture du management dans les entreprises. Faire bouger les lignes prend du temps : cela requiert la participation des managers, de l'encadrement intermédiaire, des partenaires sociaux, des salariés, le tout suivi de plans d'action déployés sur deux ou trois ans. Ce moyen terme ne s'accorde pas toujours très bien avec l'attente de résultats immédiats et peut décourager certains.

En dix ans, vous avez mené 48 projets d'expertise et d'accompagnement auprès d'entreprises. Comment vous y prenez-vous ?

I. B. : Pour établir un diagnostic, nous réalisons une enquête de perception, à laquelle participent une partie des salariés et les sous-traitants et qui permet d'ausculter les grands paramètres de la sécurité : le management, les situations de travail, l'organisation. Ces indicateurs, qui aident à construire une vision partagée de la réalité, guident ensuite l'action. Cela peut être de la formation pour le management, mais aussi la redéfinition des procédures, souvent trop nombreuses ; sachant qu'il est essentiel d'associer les salariés à la conception de nouvelles règles d'or. L'encadrement de proximité est fréquemment soumis à des injonctions paradoxales : faire respecter la sécurité et atteindre les objectifs. Un soutien peut lui être apporté sous forme d'outils validés par la direction de l'établissement. Par exemple, la "carte stop" liste une dizaine de problèmes et si le responsable en remarque même un seul, il arrête la production. Cet acte est désormais prévu par l'organisation.