FBI ! (Fausse bonne idée)

par François Desriaux rédacteur en chef / avril 2009

Un concert de louanges ! A quelques grincheux près, le petit monde de la prévention des risques professionnels a approuvé la création d'un "véritable carnet de santé du travailleur", voté au Sénat dans le cadre du projet de loi sur le Grenelle de l'environnement.

L'intention est louable, puisqu'il s'agit de donner une base légale à l'expérimentation du futur dispositif de traçabilité des expositions professionnelles à des substances cancérogènes, mutagènes ou reprotoxiques (CMR), discuté actuellement par les partenaires sociaux. Eh bien, au risque d'être définitivement classés dans les rangs des rabat-joie, nous estimons à Santé & Travail que cette initiative a tout d'une fausse bonne idée. Même entouré d'un luxe de précautions et de confidentialité, le carnet de santé risque de se retourner contre ceux qu'il est censé protéger. Et de devenir un instrument de sélection à l'emploi. Rien n'empêchera en effet un candidat de chercher à prouver à son recruteur qu'il est sain et vierge de toute exposition à des cancérogènes, pour remporter la mise. Au détriment de ceux qui ne fourniront pas le précieux sésame et qui seront disqualifiés.

Mais, surtout, les sages du palais du Luxembourg ont totalement ignoré l'ensemble des pistes explorées par un récent rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) consacré à la traçabilité des expositions. Ce texte, qui propose une ambitieuse stratégie de prévention du risque cancérogène, capable de remédier "au niveau d'application de la réglementation très en deçà du minimum indispensable", a pourtant été approuvé à l'unanimité par les partenaires sociaux. Cerise sur le gâteau, le carnet de santé du travailleur est précisément l'une des mesures écartées par ce rapport !

Sans doute les sénateurs ont-ils estimé que le carnet serait beaucoup moins contraignant pour les entreprises que l'instauration d'une déclaration annuelle obligatoire par les employeurs des substances CMR qu'ils utilisent, la mesure phare du rapport de l'Igas. Moins contraignant, mais à coup sûr moins efficace et, en tout état de cause, peu susceptible d'être à la hauteur de l'enjeu de santé publique que constituent les deux millions de salariés exposés à des produits cancérogènes.

Face à ces résistances, l'appel à la mobilisation générale contre les cancers professionnels lancé par Santé & Travail à l'occasion de son dernier numéro n'en présente que plus d'intérêt. Il a recueilli 2 400 signatures, parmi lesquelles celles des principaux leaders des organisations syndicales, du monde associatif et des personnalités de la prévention. Nous l'adresserons au nouveau Conseil d'orientation des conditions de travail (Coct), dont la première assemblée plénière est prévue dans les prochaines semaines. Si vous voulez participer à cette action militante et citoyenne, il est encore temps de le parapher sur notre site www.sante-et-travail.fr

Enfin, cette action est l'occasion de rendre un ultime hommage à Henri Pézerat, disparu le mois dernier, peu de temps après avoir justement signé cet appel. L'interdiction de l'amiante, la prévention et la réparation des cancers professionnels ont été le combat de toute sa vie de toxicologue et de militant. Merci Henri !