"Il faut mobiliser l'intelligence des salariés"

par Michel Delberghe / avril 2013

Quel regard portez-vous sur l'accord du 11 janvier, tel que retranscrit dans le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi ?

François Daniellou : Toute la discussion a été conduite sous le prisme de l'emploi et non du travail. Il en résulte une vision purement numérique de la participation des salariés à la vie économique de l'entreprise, qui ne prend pas en compte la mobilisation de leurs capacités d'expression et d'intelligence. Cet accord a été bâti sur un modèle : n'importe quel salarié aurait accès à un représentant syndical. C'est loin d'être le cas, notamment dans les PME et toutes petites entreprises, où les salariés ne bénéficient d'aucune représentation en matière de santé au travail. On aurait pu imaginer la création de CHSCT communs de branche, de sites industriels ou de bassins d'emploi

Il fallait donc changer de logique ?

F. D. : Depuis le début de la négociation en juillet 2012, ni les partenaires sociaux ni le gouvernement n'ont mis en évidence les préoccupations liées à l'organisation du travail. L'erreur de diagnostic sur la compétitivité, c'est qu'il n'y a aucune issue en termes de coûts horaires, car il y aura toujours moins cher ailleurs. Il faut mobiliser l'intelligence des salariés, non pour compenser dans l'ombre les défauts de l'organisation, mais pour améliorer les produits, les services, les procédures, développer la qualité et l'attractivité du made in France

En quoi l'organisation du travail a-t-elle une influence sur la compétitivité des entreprises ?

F. D. : L'enjeu est double, en termes de production et de santé au travail. Le management des entreprises françaises reste encore très marqué par le mépris : seule la direction sait. L'objectif est ensuite de décliner les décisions prises à l'échelon le plus élevé en niant les compétences à chaque niveau. Le résultat se traduit par un gaspillage gigantesque. Dans certaines PME, 15 % des pièces partent en retouche. Et si dans les grandes entreprises, notamment dans l'automobile, la qualité finale est plutôt satisfaisante, c'est au prix de la multiplication des points de contrôle.

Les travailleurs se retrouvent dans des situations infernales, compte tenu des cadences, de la conception des postes et de l'incapacité de bien faire leur travail. D'où l'apparition des troubles musculo-squelettiques et, dans certains cas, de troubles psychosociaux. Taylor disait que les travailleurs devraient laisser leur cerveau au vestiaire. La plupart des dirigeants le pensent encore.

Comment améliorer concrètement la compétitivité des entreprises sans dégrader l'emploi et les conditions de travail ?

F. D. : La première cible serait d'obtenir que les salariés puissent s'exprimer sur leur lieu de travail à propos des difficultés de production, des demandes des clients. Qu'il y ait ainsi des espaces où les questions puissent être débattues et traitées de manière respectueuse. L'encadrement local, qui ne peut se limiter à être la courroie de transmission descendante de stratégies élaborées en haut, doit bénéficier également d'un pouvoir d'ajustement, afin que les décisions soient prises à l'échelon le plus pertinent.

Il faut apprendre à réfléchir en termes de "subsidiarité" et favoriser le droit à l'expérimentation et à la démonstration locales, y compris lorsqu'elles sont audacieuses. Ce mécanisme n'est pas forcément bien compris par les négociateurs à l'échelon macro-économique. Mais si on ne commence pas par se dire qu'il faut reprendre les grandes questions sous l'angle du travail, il y a un vrai risque de disparition de l'industrie française.