© Nathanaël Mergui/Mutualité française
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Loïc Lerouge : le juriste de la santé mentale au travail

par Nathalie Quéruel / avril 2013

L'amélioration de notre système juridique en matière de risques psychosociaux est au coeur de ses recherches. Démarche - interactive - de ce jeune juriste ? S'appuyer sur l'apport d'autres disciplines et associer les acteurs de la prévention.

Loin de l'image du chercheur enfermé dans son laboratoire, il se définit comme un "juriste à l'écoute". Entendre ce que disent les autres disciplines et les acteurs de la prévention, c'est une des qualités de Loïc Lerouge, membre du Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (Comptrasec), à l'université Montesquieu-Bordeaux 4. "Un des objectifs est de participer à la production de connaissances qui vont avoir un effet dans la réalité, avec une interaction à l'égard du terrain", précise-t-il.

Loïc Lerouge en 4 dates

1977 : Naissance à Nantes.

2006 : Arrivée au Centre de droit comparé du travail et de la sécurité sociale (Comptrasec).

2009 : Démarrage du projet Comparisk, sur une comparaison de l'approche juridique des risques psychosociaux entre plusieurs pays.

2011 : Création de l'Observatoire régional des risques psychosociaux en Aquitaine (Orrpsa).

Etudiant en droit à Nantes, ce n'est pas par hasard qu'il va se passionner pour la santé au travail. A l'époque, il est témoin de manoeuvres s'apparentant à du harcèlement. Sensibilisé au problème, il oriente sa thèse sur la reconnaissance d'un droit à la protection de la santé mentale : "La notion juridique de "harcèlement moral" était restrictive, plus orientée sur la réparation ou sur la prévention individuelle, raconte-t-il. L'idée était d'élargir le champ de recherche, en faisant le lien avec l'évolution des organisations du travail dans les années 2000." Son directeur de thèse, le professeur de droit social Patrick Chaumette, se souvient d'un étudiant très motivé : "Le sujet lui tenait à coeur. Comme le sportif de haut niveau qu'il était, il a abordé son travail de façon organisée et méthodique. Dans sa thèse, il a pris des risques, car, si nous étions dans une période charnière où la question de la santé mentale au travail émergeait dans l'actualité, elle restait un thème innovant du point de vue du droit."

Tirer parti des exemples étrangers

Si la santé mentale au travail suscite alors encore peu l'intérêt des juristes, Loïc Lerouge s'en empare à bras-le-corps, en jugeant tout de suite indispensable à sa réflexion l'apport d'autres disciplines, entre autres la sociologie, les sciences de gestion, la psychologie, la psychodynamique du travail et l'ergonomie. Il se plonge notamment dans les travaux de Christophe Dejours, Yves Clot, Michel Vézina, Robert Karasek et Johannes Siegrist. "Je cherchais à montrer comment l'arsenal juridique existant était reçu par les spécialistes de la prévention et si ce dernier était suffisant pour protéger la santé mentale de ceux qui travaillent, expose-t-il. C'est un risque professionnel complexe à objectiver ; cela a poussé les juges à se montrer créatifs et à interpréter la loi de façon à prendre en compte cette nouvelle dimension de ce qu'on allait désormais appeler "risques psychosociaux"."

Après sa thèse, Loïc Lerouge entend poursuivre ses recherches. Il aime l'investigation et la réflexion, l'idée de faire avancer la connaissance : "Le droit, c'est le rapport à la société, une matière en mouvement qui en intègre les changements." En 2006, il devient chargé de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et rejoint l'équipe bordelaise du Comptrasec. Bénéficiant d'un financement de l'Agence nationale de la recherche, il s'engage dans un projet qui vise à évaluer le système juridique français dans sa capacité à prendre en compte les risques psychosociaux. Point fort de cette recherche : la comparaison avec la législation en vigueur en Europe du Nord et du Sud, au Québec et au Japon. "Il ne s'agissait pas seulement d'être descriptif, mais de mettre en perspective et de comprendre ce que la France pourrait retirer de ces exemples à l'étranger. A travers les expériences, bonnes ou mauvaises, comment pouvons-nous aussi améliorer notre système, en procédant à des adaptations ou des modifications plutôt qu'à des importations brutes ?"

Des outils de prévention à fort potentiel

D'où il ressort que la France possède un système assez original, avec l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, une jurisprudence qui a investi le champ de l'organisation du travail et qui, depuis l'arrêt Snecma1 , permet au juge de s'immiscer dans le pouvoir de direction de l'employeur au nom de la santé des salariés. Des "instruments de prévention méritant d'être développés complètent ces exemples emblématiques", comme le CHSCT, le médecin du travail, le document unique d'évaluation des risques ou encore le droit d'alerte. "Ce sont autant d'outils qui montrent du potentiel, mais des obstacles culturels, politiques et économiques empêchent leur déploiement", analyse Loïc Lerouge.

Pendant ce programme de recherche qui le conduit à parcourir une partie du globe, il n'oublie pas sa préoccupation : associer aux recherches l'interdisciplinarité et le terrain. En septembre 2011, il contribue à la création de l'Observatoire régional des risques psychosociaux en Aquitaine (Orrpsa), accueilli au sein du Comptrasec et soutenu par la Direccte2 et la Carsat2 dans le cadre du plan régional santé-travail. Son but ? Créer une interaction entre différents chercheurs et des préventeurs, avec un comité de pilotage où sont représentés le droit, la psychologie, la médecine du travail et l'épidémiologie. L'Observatoire s'attelle à cartographier la santé psychosociale au travail et à étudier très précisément la jurisprudence en la matière. Un colloque interdisciplinaire conviant acteurs de la région et équipes de recherche est organisé chaque année.

Une initiative qu'apprécie Dominique Saitta, ingénieur-conseil à la Carsat Aquitaine : "Dans cette démarche, Loïc Lerouge a su fédérer plusieurs disciplines et les acteurs de terrain pour des échanges à la fois théoriques et concrets. C'est une personne de qualité qui cherche à creuser les éléments d'objectivation des risques psychosociaux. Qu'un juriste se préoccupe de ces questions me semble essentiel, car cette objectivation passe par la reconnaissance et donc la législation. Si le droit, qui est toujours en retard sur la réalité, ne bouge pas, la situation tend à rester en l'état."

Rendre accessible la connaissance

La même logique anime ce jeune chercheur lorsqu'avec le Comptrasec il organise du 16 au 18 janvier dernier, à Bordeaux, un colloque international intitulé "Approche comparée des risques psychosociaux au travail", aboutissement de son programme de recherche et mise en valeur du réseau de contacts scientifiques qu'il a tissé. Pour lui, la connaissance ne doit pas rester au fond des tiroirs : il faut la rendre accessible au plus grand nombre de façon vivante. "Nous avons mis en relation des spécialistes français et internationaux de plusieurs disciplines, le monde institutionnel et les acteurs de la prévention, se satisfait-il. Pour travailler de façon constructive, nous avons privilégié la discussion sur deux thèmes : les facteurs de risques psychosociaux et les troubles qui en découlent."

Même s'il se veut en prise avec le terrain, Loïc Lerouge demeure avant tout un chercheur. "Et de grande valeur", estime Patrick Chaumette : "Des réflexions juridiques doivent émerger pour améliorer les conditions de travail. Lui fait partie de ces spécialistes qui approchent cette question à partir de la santé mentale et de la place des salariés dans leur relation au travail." Et les juristes qui mettent au coeur de leur activité la pluridisciplinarité ne courent pas tant les rues que cela...

  • 1

    Voir Santé & Travail n° 63, juillet 2008, page 22.

  • 2

    Direccte : direction régionale des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi. Carsat : caisse d'assurance retraite et de santé au travail.