La médecine du travail touchée par la loi Rebsamen

par Corinne Renou-Nativel / octobre 2015

La loi sur le dialogue social a introduit la notion de "sécurité des tiers" dans le champ d'intervention des médecins du travail. Une disposition qui modifie en profondeur leur mission, estiment les représentants de la profession.

C'est un aspect passé inaperçu de la loi Rebsamen, votée le 17 août, mais qui a suscité une levée de boucliers chez les médecins du travail. Alors qu'il semblait clair que les mesures proposées par le rapport Aptitude et médecine du travail1 feraient l'objet d'un projet de loi spécifique, l'un de ses coauteurs, le député PS de l'Isère Michel Issindou, a profité de la loi sur le dialogue social pour introduire des amendements qui modifient le cadre d'intervention des praticiens. En cause : l'introduction de la notion de "sécurité des tiers" dans l'article L. 4622-2 du Code du travail. Il revient désormais aux services de santé au travail d'assurer "la surveillance de l'état de santé des travailleurs en fonction des risques concernant leur santé au travail et celle des tiers, de la pénibilité au travail et de leur âge". Cette nouvelle disposition est déclinée dans l'article suivant (L. 4622-3) relatif à la mission du médecin du travail, qui doit dorénavant éviter "toute atteinte à la sécurité des tiers".

"Un changement de paradigme

"Le fait que cette notion soit introduite sur la mission de surveillance médicale et non de conseil aux employeurs instaure un nouveau critère de sélection du salarié, déplore Nicolas Sandret, ex-médecin-inspecteur régional du travail en Ile-de-France. Cela peut augmenter le nombre de salariés à voir plus fréquemment, ce qui, dans le contexte de surcharge actuel, paraît sinon absurde, du moins infaisable."

"C'est un changement de paradigme considère Jean-Michel Sterdyniak, secrétaire général du Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST). La mission de la médecine du travail est de protéger les travailleurs des risques du travail. Protéger les tiers est sans doute important, mais ne dépend pas de nous. Dès lors qu'on introduit cette notion de "sécurité des tiers", on transforme la médecine du travail en médecine de contrôle, donc au bénéfice des employeurs, ce qui rompt la relation de confiance avec le salarié." Un point de vue partagé par Alain Carré, responsable du syndicat CGT des médecins du travail des industries électriques et gazières, pour qui cette modification vise à "augmenter la sécurité juridique des entreprises et des employeurs. La relation entre un médecin du travail et un salarié ne concerne les tiers que lorsqu'ils influent sur la santé du patient, et non l'inverse"

Michel Issindou justifie ces changements par le déficit de médecins du travail : "Il faut orienter les médecins du travail vers les tâches les plus nobles, qui sont les cas les plus difficiles, par la création, à côté des métiers dits "de sécurité", d'une nouvelle catégorie intitulée "métiers à risque qui mettent en cause la sécurité des tiers". Pour ces deux catégories, des examens poussés et réguliers sont nécessaires. Le médecin du travail référent ne les pratiquera pas lui-même, mais continuera d'assurer le suivi des salariés concernés. Pour ces métiers comme pour les autres, la relation de confiance entre le salarié et son médecin du travail reste au coeur du dispositif."

Sophie Quinton-Fantoni, professeure de médecine du travail et coauteure du rapport, souligne que la notion de "sécurité des tiers" existait déjà dans l'article L. 4624-31 relatif à l'inaptitude. Pour elle, "l'introduction de cette notion peut poser les jalons d'un suivi de santé qui soit bien scindé entre les médecins qui vont faire de la prévention et ceux qui s'occuperont du contrôle".

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    Rapport publié le 25 mai dernier et établi par Michel Issindou, Christian Ploton, Sophie Fantoni-Quinton, Anne-Carole Bensadon et Hervé Gosselin. Disponible sur le site du ministère du Travail : http://travail-emploi.gouv.fr