La sous-traitance des risques sera-t-elle un jour condamnée ?

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Pascal Marichalar sociologue
/ juillet 2014

La sous-traitance des risques sera-t-elle un jour condamnée ? Visé par une plainte après la catastrophe du Rana Plaza, au Bangladesh, le groupe Auchan nie toute responsabilité. Pourtant, des étiquettes de ses marques ont été retrouvées parmi les décombres. Sa défense consiste à s'étonner qu'on lui reproche les agissements de ses fournisseurs, tout en s'engageant "moralement" à mieux les choisir. Comme souvent, la responsabilité est réduite ici au contrat écrit, à l'organigramme formel. Le contrat ne dit pas que je suis responsable, donc je ne le suis pas. L'organigramme ne dit pas que je suis le chef, alors je ne le suis pas. C'est une conception libérale de la responsabilité, qui suppose les parties impliquées - une multinationale française de la grande distribution et des sous-traitants bangladais - libres et égales dans leur volonté de contracter. Cette approche nie l'existence de relations de domination entre les sociétés ou les personnes.

Or ces relations existent, y compris quand elles n'apparaissent pas sur le papier, et elles fondent une autre conception de la responsabilité. C'est cette conception qui permet à la justice de reconnaître la responsabilité d'un donneur d'ordres pour la maladie professionnelle d'un sous-traitant ou de dire que des auto-entrepreneurs sont en fait des salariés, car ils sont subordonnés. Ainsi, dans le procès du fabricant de produits amiantés Eternit, à Turin, le procureur italien Raffaele Guariniello a démontré que les deux accusés, actionnaires de la filiale transalpine, devaient en fait être considérés comme ses véritables dirigeants. Car les documents ont révélé que c'étaient eux, et non la direction de la filiale, qui avaient le dernier mot sur le fonctionnement quotidien des établissements italiens, notamment sur les questions de santé.

Le même procureur envisage aujourd'hui une action pénale au sujet du Rana Plaza. De fait, si les donneurs d'ordres ont le pouvoir d'imposer forme, couleur, nombre et prix des T-shirts, en quoi ne seraient-ils pas aussi responsables des conditions de travail ?