L'absence d'évaluation peut s'avérer coûteuse

par Francis Meyer juriste à l'Institut du travail (Strasbourg). / juillet 2008

Le respect par les employeurs de l'obligation d'évaluer les risques n'est pas spontané. En effet, les entreprises rechignent à identifier des risques qui, quand ils ont été mal évalués, peuvent mettre en cause leur responsabilité s'ils se réalisent. Il faut pourtant arriver à les convaincre que l'abstention s'avère plus coûteuse que l'évaluation. Il y a bien sûr la violation de l'obligation formelle, sanctionnée par une contravention selon l'article L. 4741-1 du Code du travail, mais cette disposition est peu utilisée et peu dissuasive.

Les conséquences réelles d'une non-évaluation sont plutôt à examiner sur le terrain du droit pénal ou de la faute inexcusable. Si la non-connaissance du risque pouvait constituer une circonstance atténuante pour l'employeur auparavant, elle devient une circonstance aggravante dans le nouveau régime de l'obligation de sécurité de résultat.

Elément à charge. Ainsi, pour les juges, la non-fourniture du document unique d'évaluation des risques est déjà un élément à charge. En effet, comment déterminer si l'employeur a pu ou non avoir conscience du risque, et donc pu commettre ou non une faute pénale, s'il n'a pas pris la peine de se pencher sur les risques en essayant de les évaluer ? Comment un juge du tribunal des affaires de Sécurité sociale, face à un recours en faute inexcusable, pourra-t-il exonérer l'employeur pour absence de conscience du risque s'il ressort du dossier qu'il n'a pas essayé d'en prendre connaissance ? Dans ce type de dossier, l'employeur doit se doter des "moyens de savoir", sous peine de perdre son procès. L'existence des tableaux de maladies professionnelles est un indice. Le contenu du document unique en est un autre.

A ce titre, le juge pénal se tourne de plus en plus vers le document unique pour apprécier l'existence d'une infraction. Comme l'atteste l'arrêt du 15 mai 2007 de la chambre criminelle de la Cour de cassation condamnant la société Citroën suite à un accident du travail. Un salarié avait été gravement blessé à la tête par une cale projetée à travers un atelier. Les juges se sont appuyés sur les 1° et 2° de l'article L. 4121-2, invoquant une mauvaise évaluation du risque pour conclure à la responsabilité pénale de l'entreprise pour blessures involontaires. Cette décision montre bien que l'évaluation des risques est "une mesure ressortissant au pouvoir propre de direction", qui engage la responsabilité personnelle de l'employeur. Un argument de poids pour obtenir de celui-ci une évaluation des risques digne de ce nom.