L'appel au secours des pompiers du Maine-et-Loire

par Anne-Marie Boulet / janvier 2017

La dégradation des conditions de travail et du dialogue social dans le service d'incendie et de secours du Maine-et-Loire fragilise le collectif des pompiers. Un suicide survenu l'an dernier accroît le malaise, alors que le CHSCT est empêché de jouer son rôle.

Depuis quelques années, nous vivons un changement radical de politique au sein du Sdis49, dénonce Samuel Dutour (CGT), secrétaire du CHSCT du service départemental d'incendie et de secours du Maine-et-Loire. Il n'y a plus de respect des accords négociés. Toute possibilité de se faire assister par un représentant syndical lors d'un entretien avec la direction a été gommée. Même pour les entretiens préalables à un licenciement. Nous sommes revenus à un autoritarisme qu'on ne connaissait plus." Une absence de dialogue et un manque de latitude qui s'affirment aussi au sein du CHSCT. Débats minutés, droit de vote rogné... "Nous en sommes réduits à une position de consultants", résume amèrement Olivier Garreau, qui y siège pour la CGT. Les deux autres syndicats du Sdis49 - Unsa et Avenir secours (CFE-CGC) - font aussi le constat d'un "dialogue rompu" et d'un "débat plus que verrouillé". Silence, en revanche, du côté du Sdis : ni la direction du service ni le conseil départemental, son principal financeur, n'ont souhaité donner suite à nos demandes d'entretien.

Débat escamoté

Dans ce contexte, la façon dont le suicide d'une jeune recrue en formation, survenu au printemps 2016, a été géré a posteriori a profondément marqué les esprits. Il n'a pas provoqué le sursaut espéré par les élus du CHSCT. "On nous a carrément signifié que cet événement tragique n'était pas de la compétence du CHSCT", témoignent-ils, outrés. "Au prétexte fallacieux que Lauriane, la jeune victime, s'est pendue à un arbre qui serait hors propriété du Sdis !", s'indigne Samuel Dutour. Pourtant, comme tous les jeunes en formation, elle était hébergée par le Sdis. Selon nos informations, elle avait été convoquée par la direction la veille de sa mort. Et a laissé un courrier suggérant un lien avec son travail. Mais la demande d'enquête émanant du CHSCT a été rejetée. Et le débat qu'il réclamait escamoté : "On nous a limité le temps de parole", s'insurge Michel Brouté, l'un des deux représentants Unsa.

En outre, la cellule d'urgence médico-psychologique, missionnée par la préfecture, a été décommandée au dernier moment. A la place de cette équipe de professionnels (médecins, infirmiers psychiatres et psychologues), les sapeurs-pompiers ont été pris en charge en interne, par la psychologue du service de santé et de secours médical du Sdis. "Une prise en charge relativement critiquée et critiquable dans son organisation et son efficacité", commente la CGT. La psychologue du service médical étant elle-même pompier volontaire...

Cet épisode tragique montre à tout le moins que les risques psychosociaux, avérés dans la profession, ne sont pas pris au sérieux par le Sdis49. Les élus CGT au CHSCT ont pourtant systématiquement rédigé, depuis deux ans, des déclarations liminaires pour alerter sur le problème, en pointant la responsabilité des rythmes de travail et des pratiques managériales. Ils exigent que le suicide de leur collègue soit reconnu en accident du travail. "Ne pas reconnaître le drame en accident de service, c'est faire planer un sentiment de culpabilité sur tous, considère Samuel Dutour. Les collègues nous demandent régulièrement des nouvelles du dossier. Certains ont des insomnies." Michel Brouté signale, quant à lui, que "l'absentéisme a augmenté ces derniers mois".

Plainte pour harcèlement moral

Une décision du Conseil d'Etat du 16 juillet 2014 relative aux fonctionnaires précise pourtant que même "s'ils interviennent en un autre lieu ou à un autre moment [que dans le temps du service, NDLR], la qualification d'accident de service peut également être retenue à la condition que le suicide ou la tentative présentent un lien direct avec le service". Pression trop forte au cours de la formation ? Rapports stressants avec la hiérarchie ? Difficultés du métier sous-estimées lors du recrutement ? Une enquête judiciaire apportera peut-être un éclairage sur les raisons qui ont poussé la jeune femme à accomplir son geste. Ses parents ont en effet déposé plainte contre X pour harcèlement moral et homicide involontaire auprès du procureur de la République d'Angers.

Le climat dans le service est en tout cas propice à la fragilisation et à l'isolement des sapeurs-pompiers. Une situation qui rejaillit particulièrement sur un corps censé être soudé, comme le rappelle Romain Pudal, sociologue au Centre universitaire de recherches sur l'action publique et le politique (Curapp), à Amiens. Lui-même sapeur-pompier pendant une quinzaine d'années en région parisienne, il a tiré de son expérience un ouvrage, Retour de flammes (voir "A lire"). "La cohésion du groupe est un enjeu très fort chez les pompiers, explique-t-il. En intervention, il faut pouvoir compter sur le collègue."

Pour mémoire, ceux que l'on appelle communément - à tort - les soldats du feu, passent l'essentiel (80 %) de leur temps en intervention à gérer la détresse humaine dans les situations les plus variées. Car, en France, la gestion du risque incendie et celle des premiers secours sont confiées au même corps1 . La contrepartie pour tenir est de trouver, au sein des casernes, une réelle prise en compte de leurs préoccupations. La caserne est "un milieu fermé, dont le coût d'entrée est assez élevé, relève encore Romain Pudal. Notamment lorsqu'on est femme, immigré ou intellectuel, l'intégration est plus complexe. En revanche, une fois que l'on est accepté, ce milieu s'avère très protecteur". Mais "lorsqu'on ne se sent pas épaulé par sa hiérarchie", estime Samuel Dutour, cette protection en pâtit et la qualité des interventions s'en ressent.

Alerte sur le risque CMR

La départementalisation des services d'incendie, au tout début des années 2000, a créé un pouvoir directionnel à deux têtes. La hiérarchie traditionnelle, calquée sur celle de l'armée, continue à gérer l'organisation interne, les formations et les personnels. Mais ces derniers sont devenus des agents de la fonction publique territoriale. L'articulation entre Sdis et conseil départemental, présent dans toutes les instances, ne fonctionne pas toujours de façon optimale. Les CHSCT de la fonction publique, à l'instar du secteur privé, intègrent depuis 2014 la dimension "conditions de travail" à leurs missions. Dans le Maine-et-Loire, l'instance peine visiblement à se faire sa place.

Et pas seulement dans le domaine de la souffrance au travail. "Nous avons essayé, par exemple, d'alerter sur le risque CMR [cancérogène, mutagène et reprotoxique], indique Olivier Garreau. Nos combinaisons sont nettoyées en système aqueux. Cela enlève l'odeur, mais pas les matières toxiques. Dans certains départements, elles sont passées au CO2. C'est un mode de traitement efficace, mais plus onéreux et nécessitant une tenue de rechange. Nous, nous remettons nos combinaisons le lendemain, après lavage." Même sur ces questions d'hygiène et de sécurité, le CHSCT a du mal à trouver une écoute.

  • 1

    Aux Etats-Unis et au Canada, par exemple, les deux corps sont séparés, les firefighters (littéralement "combattants du feu") gérant exclusivement le risque incendie.

En savoir plus
  • Retour de flammes. Les pompiers, des héros fatigués ?, par Romain Pudal, La Découverte, coll. L'envers des faits, 2016.