Jeu de dupes

par
© N. M./FNMF © N. M./FNMF
Serge Volkoff statisticien et ergonome
/ avril 2014

Le bras de fer sur le travail dominical peut tourner au jeu de dupes. En opposant la "liberté" des uns (les salariés, les clients) à l'"archaïsme" des autres (les syndicats et... le Conseil d'Etat), le débat public sur l'ouverture de nouveaux commerces le dimanche s'est, une fois de plus, montré incroyablement sommaire. Ainsi, tout assouplissement de règles collectives serait bon à prendre, dès lors qu'il permet à certains de faire face aux contraintes, financières ou autres, qui pèsent sur eux par ailleurs ?

En matière d'horaires, c'est une histoire à rallonge. Qu'on pense aux professions où s'applique le principe du "fini-quitte", comme pour les éboueurs dans de nombreuses villes : tu peux rentrer chez toi quand ta tournée est finie. Et chacun de se hâter, de courir le long du camion-benne, d'attraper les containers à bras-le-corps, pour découvrir, quelques années plus tard, que les tournées ont été redessinées... en se fondant sur les performances des plus "pressés". Qu'on pense aux étudiants employés dans les fast-foods, qui sont prêts à accepter des heures complémentaires imprévues pour tenir leur budget et que ces perturbations finissent par condamner à l'échec dans leurs examens. Qu'on pense encore aux "créatifs", dans le spectacle, le Web ou la publicité, où préserver des temps de repos, retrouver famille ou amis à une heure raisonnable relève de la ringardise : ils s'épuisent en quelques années, ruinant leur vie personnelle et, finalement, leur "créativité" aussi. Qu'on songe enfin à la notion de "temps partiel choisi", pour les femmes notamment, quand ce choix découle de contraintes d'emploi du temps auxquelles elles ne peuvent échapper autrement.

Ayant tout cela en tête, revenons aux magasins de bricolage et à leur ouverture dominicale. Il est légitime qu'à un moment donné des compromis sociaux s'établissent, dans lesquels des intérêts multiples sont pris en compte. Mais pour vraiment apprécier les risques portés par certaines options, il faut prendre au sérieux ceux qui, en connaissance de cause, dévoilent ces risques.