Les métiers "masculins", encore bien sexistes

par Véronique Merlin / octobre 2016

Une femme de moins de 35 ans, diplômée et exerçant un métier caractérisé comme masculin : tel pourrait être le portrait type de la victime de comportements sexistes au travail. D'où l'intérêt préventif de développer la mixité professionnelle.

Les comportements sexistes au travail sont étudiés, dans les grandes enquêtes, comme une forme des "comportements hostiles". La dimension sexiste apparaît quand la personne interrogée attribue ceux-ci - entre autres - "au fait d'être un homme ou une femme"

Reste à définir les "comportements hostiles". Le problème est suffisamment grave et intime pour qu'on soit attentif à bien le cerner, dès lors qu'on veut compter les personnes concernées. L'édition 2013 de l'enquête Conditions de travail, menée par le ministère du Travail, distingue trois catégories d'atteintes : les "comportements méprisants" (quand une personne dans votre milieu de travail vous ignore, vous empêche de vous exprimer, vous ridiculise...) ; les "dénis de reconnaissance" (critiques injustes, attribution de tâches inutiles...) ; enfin, les "atteintes dégradantes" (faire passer pour mentalement dérangé, tenir des propos obscènes...).

Au total, selon une exploitation récente de l'enquête (voir "A lire"), 35 % des personnes en emploi ont subi au cours de l'année au moins un de ces comportements hostiles. A ce niveau, la différence entre hommes et femmes est modérée : respectivement 33 % et 36 %. En revanche, comme on pouvait s'y attendre, il y a des différences entre les deux sexes quant aux facteurs de discrimination en cause : le comportement hostile a été lié au sexe "être homme ou femme" pour 8 % des femmes et 1 % des hommes.

1,1 million de travailleuses concernées

Rapporté au nombre de femmes en emploi en France, ce taux de 8 % représente 1,1 million de personnes. L'enquête donne des précisions sur les catégories de population les plus concernées : plutôt des femmes jeunes (le taux est à 12 % chez les 25-34 ans), mères de jeunes enfants (12 % chez les mères d'enfants de moins de 3 ans), diplômées (10 % chez les bac + 3 ou plus). Plus intéressant encore dans une optique de prévention, des caractéristiques du travail sont associées à la fréquence des comportements sexistes : le taux monte à 13 % quand les femmes ne peuvent organiser leur travail de la façon qui leur convient le mieux et à 15 % quand elles manquent d'informations pour effectuer ce travail correctement. Parce que le sexisme prend appui sur les difficultés que les travailleuses rencontrent ? Parce qu'il les prive de moyens de travail adéquats ? Les deux, peut-être.

Un résultat très révélateur, enfin, est le lien entre les comportements sexistes et la segmentation sexuée de l'emploi. Une analyse statistique fine distingue cinq catégories de postes de travail allant de "très typiquement masculins" à "très typiquement féminins". Dans ces derniers, les comportements sexistes sont mentionnés par 6 % des femmes ; dans les postes "très masculins", ce taux s'élève à 15 %. Conclusion de l'auteure de l'étude : "Occuper un emploi ne correspondant pas aux stéréotypes sexués de la division du travail peut exposer les personnes concernées, hommes ou surtout femmes, à des moqueries ou à des discriminations."

Si c'est bien le cas, alors un autre constat statistique vaut d'être rappelé, issu cette fois des analyses à long terme sur la répartition des hommes et des femmes par métiers (voir "A lire"). Les statisticiens de l'emploi suivent régulièrement un "indice de ségrégation professionnelle", qui vaudrait zéro si cette répartition entre les sexes était la même quel que soit le métier. En tendance, la mixité dans les mêmes professions progresse, puisque cet indice baisse... mais lentement : il est passé de 56 à 52 entre 1983 et 2011. A ce rythme, la ségrégation sexuée entre professions s'éteindra en l'an 2375. On a le droit d'espérer que les comportements sexistes disparaissent avant cette date.

En savoir plus
  • "Dans quels contextes les comportements sexistes au travail sont-ils le plus fréquent ?", par Elisabeth Algava, Dares Analyses n° 46, septembre 2016.

  • "La répartition des hommes et des femmes par métiers. Une baisse de la ségrégation depuis 30 ans", par Julie Argouarc'h et Oana Calavrezo, Dares Analyses n° 79, décembre 2013.