L’Europe cale sur les cancers professionnels

par Clotilde de Gastines / 16 janvier 2017

Il n’y aura pas de valeur limite d’exposition des travailleurs aux fumées de diesel. Ainsi en a décidé la Commission européenne dans la révision de la directive sur les agents cancérogènes. Une révision a minima qui irrite la Confédération européenne des syndicats.

« En retard de plusieurs décennies. » C’est avec cette formule que la Confédération européenne des syndicats (CES) a accueilli les propositions de la Commission européenne relatives à la révision de la directive sur les agents cancérogènes et mutagènes en milieu de travail, laquelle date de 2004. Alors que la CES plaidait pour l’adoption, d’ici à 2020, de valeurs limites d’exposition professionnelle (VLEP) pour au moins 50 substances cancérogènes prioritaires, l’instance européenne n’a établi des seuils limites que pour 18 substances nocives. Une première liste de 13 agents, dont la silice cristalline alvéolaire (SCA), les composés du chrome (VI), les poussières de bois durs et l'hydrazine, a été publiée en mai 2016. Elle est en discussion et les amendements du Parlement européen seront votés en avril prochain.

Coûteux pour la santé publique

Le 10 janvier, la Commission européenne a annoncé l’extension du champ d’application de la directive à 7 nouvelles substances, mais elle a retiré de la liste les vapeurs diesel. « Avec la fin de leur présidence de l'Union européenne, les Pays-Bas se sont désengagés, ce qui a laissé le champ libre au lobbying agressif d’industriels et d’organisations patronales », commente Laurent Vogel, chercheur à l’Institut syndicaI européen (l’appui technique et scientifique de la CES).

Pour les syndicats, ne pas prendre en compte les vapeurs diesel est coûteux pour la santé publique. D’une part, les cancers d’origine professionnelle sont la première cause de mortalité des travailleurs de l’Union européenne. D’autre part, les vapeurs diesel, qui sont à l’origine de cancers du poumon et d’autres problèmes de santé, représentent l’exposition la plus fréquente sur les lieux de travail. Plus de 3 millions d’Européens sont exposés chaque jour aux gaz d'échappement. Si l’on tient compte de toute la carrière professionnelle, le nombre total de personnes exposées grimpe à 12 millions en 2010 et pourrait croître jusqu’à 20 millions en 2060. Le coût humain est estimé à 230 000 décès d’ici 2069.

Le cas du benzopyrène

Sur la liste, figurent les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), le plus connu étant le benzopyrène, qui passe à travers les filtres à particules des véhicules diesel. Sauf qu’il ne s’agit pas, pour la Commission, d’établir des valeurs contraignantes. Selon Laurent Vogel, « c’est un coup de bluff. La Commission annonce l’extension du champ d’application à 7 agents cancérogènes, mais ne fixe pas de valeur contraignante ».

Le benzopyrène est classé cancérogène avéré depuis 2012 par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Le coût humain généré par l’exposition à cette substance est estimé à 10 000 décès d’ici 2069 et le coût économique, abyssal, oscille entre 6,2 et 194 milliards, selon le document de travail de la Commission. Rien que pour le benzopyrène, l’enjeu est de taille au niveau communautaire, car 13 Etats membres (sur 28) n’ont toujours pas défini de seuils d’exposition pour ces vapeurs diesel, dont des « poids lourds » de l’Union : la France, l’Italie, l’Espagne et la Belgique. A contrario, la Bulgarie est la plus restrictive (0,00015 mg/m³), suivie des Pays-Bas (0,00055 mg/m³) et de l’Allemagne (0,0007 mg/m³). La Commission laisse entendre qu’elle donne trois ans aux parties prenantes pour revenir sur la possibilité de fixer un seuil à 0,002 mg/m³.

Des données trop anciennes

« Les valeurs limites d’exposition actuelles sont basées sur de très vieilles données, remontant dans certains cas à plus de quarante ans, a déclaré Esther Lynch, secrétaire confédérale de la CES. Eu égard au nombre élevé de décès dus chaque année à des cancers d’origine professionnelle, ces limites ne suffisent manifestement pas pour sauver des vies. » La CES s’inquiète aussi du fait que l’accord conclu par les partenaires sociaux dans le domaine de la coiffure soit toujours ignoré dans les propositions. Cet accord visait à limiter l’utilisation de colorants, suspectés d’être la cause de cancers de la vessie.

Le texte final devra être adopté par le Parlement et le Conseil dans le courant de l’année.

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