L'Europe de la santé au travail bat de l'aile

par Stéphane Vincent / octobre 2009

Selon Laurent Vogel, responsable du département santé-sécurité de l'Institut syndical européen, la Commission européenne pourrait réduire les obligations des employeurs en matière de prévention des risques professionnels.

Cet été, vous avez lancé l'alerte contre un possible recul de la Commission européenne sur l'obligation d'évaluation des risques1 . Pourquoi ?

Laurent Vogel : Nous pressentons une remise en cause de la directive-cadre sur la santé et la sécurité au travail adoptée en 1989 par l'Union. Cette directive a inspiré un renouvellement profond des législations nationales. L'évaluation des risques constitue désormais la clé de voûte d'une prise en charge systématique des questions de santé au travail. Sans évaluation préalable, il n'y a guère de prévention. Dans les différents pays d'Europe, l'évaluation des risques commence à se diffuser. L'encadrement fourni par les autorités publiques constitue un facteur important pour promouvoir des pratiques plus efficaces.

Qu'est-ce qui vous fait craindre un recul ?

L. V. : Apparemment, certains secteurs de la Commission européenne ne partagent pas ce bilan positif de la directive. Fin 2007, le président de la Commission, M. Barroso, et le commissaire à l'Industrie, M. Verheugen, ont entamé une campagne de dérégulation. Comme c'est souvent le cas quand la Commission veut lancer un ballon d'essai, un groupe d'experts a été créé, présidé par l'ancien ministre-président de la Bavière, le catholique conservateur M. Stoiber. Ce groupe a été chargé de faire des recommandations, sur la base de données établies par un consortium de consultants privés.

L'avis du groupe Stoiber sur la santé et la sécurité a été adopté le 28 mai. Il considère que 90 % du temps consacré par les entreprises à la gestion de l'information pour la santé et la sécurité est une charge administrative qu'il s'agit de réduire. Il préconise notamment une réduction de 20 % des inspections sur les lieux de travail. Mais sa proposition centrale est d'exempter les petites entreprises de l'obligation d'évaluer les risques. Cela aboutirait à un système à deux vitesses, où les travailleurs des petites entreprises cesseraient de bénéficier d'une approche préventive. Cette proposition est totalement illogique, car ce sont probablement ces entreprises qui ont le plus besoin de l'évaluation des risques, dans la mesure où elles sont peu habituées à une approche systématique et préventive des risques du travail.

Cette proposition a-t-elle des chances d'être appliquée ?

L. V. : La Commission est divisée sur le sujet. Elle n'a pas respecté son engagement de rendre publiques les analyses du consortium de consultants privés avant d'engager le débat politique. Il y a là un véritable problème de démocratie. Des calculs sont considérés comme des données sûres, alors qu'ils n'ont jamais été soumis à un examen critique. Or les documents du consortium qui circulent révèlent une ignorance crasse des situations nationales. Au lieu d'un travail statistique sérieux, ils manient les chiffres comme des matériaux de propagande. Le seul objectif est de montrer que la santé au travail est une charge administrative qui coûterait beaucoup trop cher.

On saura dans les prochains mois s'il s'agit d'une poussée de fièvre électoraliste ou si la Commission persistera dans son intention d'affaiblir ce que l'Europe a peut-être apporté de meilleur : des principes d'harmonisation des conditions de travail.