L'Inspection du travail débat de sa réforme

par Martine Rossard / avril 2013

Les mesures annoncées concernant la réforme de l'Inspection du travail, notamment la mise en place de groupes de parole sur le travail de contrôle, relancent le débat sur le mal-être des agents en lien avec l'évaluation de leur activité.

Michel Sapin, ministre du Travail et de l'Emploi, souhaite mettre en débat "de grandes orientations de changement" pour son ministère, afin de le rendre "fort", "cohérent" et "plus collectif". S'adressant le 13 décembre aux responsables des directions régionales des Entreprises, de la Concurrence, de la Consommation, du Travail et de l'Emploi (Direccte), il a appelé à mieux coordonner les actions des différents services aux différents niveaux hiérarchiques et à mieux coopérer avec les autres acteurs.

Requalification partielle

Avant de lancer cette réforme, dont les contours restent à définir, le ministre socialiste a lancé une vaste concertation : séminaires régionaux de l'encadrement tenus au dernier trimestre 2012 ; discussions avec les organisations syndicales ; rencontres avec les agents au premier trimestre dernier. Viendra ensuite l'élaboration de propositions, programmée pour mai et juin. Avant l'étape des décisions "en matière de fonctionnement et d'organisation de nos services". Mais ce calendrier n'empêche pas certains syndicalistes de penser que tout est déjà ficelé. "Ça dialogue partout, mais on se demande si les décisions ne sont pas déjà prises", déplore Florence Barral-Boutet, de FO.

L'annonce la plus concrète de Michel Sapin a été celle de la requalification sur trois ans en inspecteurs du travail de 540 contrôleurs. Après concours et formation de six mois, ces agents passeraient de la catégorie B à A. Le corps des contrôleurs, qui compte actuellement plus de 3 000 agents, étant appelé à disparaître, d'autres personnes devraient intégrer le "nouvel espace statutaire", en restant en catégorie B. "Ces requalifications ont été obtenues au forceps auprès du ministère de la Fonction publique se félicite-t-on dans l'entourage du ministre. Mais cette décision, censée répondre à une demande des organisations syndicales, ne fait pas l'unanimité chez ces dernières.

"Sous couvert de prétendre satisfaire la revendication des contrôleurs du travail d'une revalorisation de leur statut, le plan Sapin ne permettra qu'à 540 d'entre eux, sur un total de 3 200, de devenir inspecteurs du travail. Pour les 85 % de contrôleurs restants, le ministre leur fait miroiter un possible "après 2015"", dénonçaient les syndicats CGT, FSU et Sud Solidaires dans un tract, le 18 février dernier. FO s'avère également critique, comme le confirme Florence Barral-Boutet : "Nous demandions l'évolution des contrôleurs du travail vers des postes à créer d'inspecteurs du travail adjoints, car leurs fonctions sont proches." La CFDT et l'Unsa ont, elles, "salué l'initiative", tout en demandant d'"élargir le cadre de ce plan de requalification".

En revanche, le malaise exprimé ces dernières années par les agents de contrôle semble avoir été entendu. Le ministre a évoqué le 13 décembre "un malaise profond, une perte de sens", avant de s'engager à "mettre fin à ce gâchis". Sans préciser les mesures à prendre. Mais un état des lieux des risques psychosociaux a été dressé par le ministère. Il met en lumière plusieurs facteurs de risque : une perte de sens et de repères liée notamment à la création des Direccte, à dominante économique, remplaçant des directions plus spécialisées sur le travail, l'emploi, la formation ; une intensification du travail et une dégradation des conditions de travail consécutives à la réduction des moyens ; un conflit de valeurs exacerbé par la politique d'évaluation et les objectifs chiffrés ; un sentiment de perte d'autonomie ; un manque de reconnaissance ; un déficit d'expression des agents... D'où la poursuite en 2013 d'un programme de prévention, avec l'intervention d'un expert de la souffrance au travail en région Champagne-Ardenne, le recensement des initiatives locales et la volonté affirmée de favoriser l'expression des agents sur l'exercice de leur travail. Ce dernier engagement rejoint, souligne-t-on au ministère, l'une des préconisations d'une étude réalisée en Ile-de-France.

Cette étude, menée par une équipe de chercheurs auprès de contrôleurs et d'inspecteurs, montre notamment les écarts existant entre leur travail réel et ce qui leur est prescrit de faire (voir "Sur le Net"). Nicolas Sandret, médecin-inspecteur régional du travail en Ile-de-France, précise que l'étude a été commandée suite à une souffrance importante exprimée par les agents de contrôle. Principal enseignement à ses yeux : la nécessité de créer des groupes de pairs pour débattre des pratiques au-delà des a priori idéologiques. Pour lui, l'étude n'est pas destinée à la seule Direccte Ile-de-France, mais à tous les agents et aux partenaires sociaux de l'Inspection du travail. "Les directions ont bien reçu le rapport et notamment l'idée que les agents manquent d'endroits pour échanger entre eux", signale François Daniellou, ergonome et chef de file de l'équipe de chercheurs.

"Culture de résultats"

Il note cependant que l'évaluation des agents fondée sur le nombre d'actions menées cadre mal avec leur activité de contrôle, inscrite dans la durée, qui vise à inciter les entreprises à respecter le Code du travail par des conseils, observations, mises en demeure... Pour lui, "c'est un point qui divise et fait craindre aux agents de contrôle la perte de leur autonomie". Nicolas Sandret reprend une image utilisée par l'un des chercheurs : "C'est comme si on évaluait des joueurs d'échecs sur le nombre de déplacements de leurs pièces et non sur le résultat de la partie."

Les 600 agents d'Ile-de-France ont reçu le rapport par messagerie électronique, et une centaine d'entre eux ont participé à quatre réunions de présentation ces derniers mois. Le syndicat Sud Travail a décidé de diffuser largement l'étude, y compris hors Ile-de-France. Michel Vergez, secrétaire du syndicat, souhaite notamment une remise en cause de la "culture de résultats" véhiculée par le recensement des actions via le logiciel Cap Sitère. "Que ce logiciel serve à informer le Bureau international du travail, c'est bien, mais qu'il serve à la surveillance de l'activité individuelle de chaque agent n'est pas acceptable, considère-t-il. L'évaluation des agents ne peut se réduire au quantitatif, en évacuant toute dimension qualitative de notre travail."

Sanctions et inquiétudes

Le ministère ne cache pas que des sanctions vont tomber sur ceux qui boycottent l'outil. Une note en ce sens a d'ailleurs été diffusée auprès des directions le 27 février dernier, suscitant des craintes chez les agents récalcitrants. D'autres inquiétudes sont également exprimées par les syndicalistes : voir se multiplier les actions "prioritaires" décidées par le ministère au détriment de la réponse à la demande sociale et aux interventions jugées nécessaires localement ; subir une "décentralisation" mettant à mal le caractère généraliste et le travail de proximité des sections territoriales. Selon eux, aucune perspective favorable ne se dessine concernant une augmentation des effectifs et une revalorisation des salaires, ou sur la prise en compte réelle des souhaits des agents afin d'apaiser le malaise et les tensions.

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