Hubert Dubois : " Maintenir la pression contre le travail des enfants "

par Eric Berger / juillet 2012

Hubert Dubois. Il y a vingt ans, ce documentariste dénonçait le travail des enfants avec L'enfance enchaînée. Sa nouvelle enquête, Enfants forçats, fait état des fragiles avancées contre ce fléau, dont la crise économique freine aujourd'hui l'éradication.

Pourquoi avoir choisi de faire un nouveau film sur le travail des enfants ?

Hubert Dubois : Avec L'enfance enchaînée, documentaire réalisé en 1992, j'avais voulu dénoncer cette exploitation et alerter l'opinion publique. Ce second film, Enfants forçats, rend compte de la situation actuelle et des combats qu'il reste à mener. J'ai renoué le contact avec les militants associatifs en Inde, en République dominicaine et au Burkina Faso qui agissent pour offrir aux enfants un autre avenir que le labeur. Le film montre, par exemple, une opération de descente dans un atelier de la banlieue de New Delhi pour libérer de jeunes garçons, prisonniers de réseaux mafieux, qui passent leurs journées à confectionner des sacs d'emballage pour l'industrie du riz. L'enquête se poursuit aux Etats-Unis. Dans les champs de Caroline-du-Nord, les enfants de travailleurs saisonniers mexicains, la plupart clandestins, travaillent aux côtés de leurs parents à la cueillette de fruits et de légumes pour le compte d'exploitants agricoles qui constituent un lobby très puissant.

La situation ne s'est-elle donc pas améliorée ?

H. D. : Nous avons assisté, au cours de ces deux dernières décennies, à une forte mobilisation des Etats, des associations et de la société civile. La convention 182 de l'Organisation internationale du travail (OIT), qui s'attaque aux pires formes de travail des enfants, a été ratifiée par un grand nombre d'Etats. La conscience de la nécessité d'éliminer ce fléau est désormais partagée par une majorité d'acteurs publics et privés. Aujourd'hui, la plupart des pays disposent des outils juridiques pour combattre ce problème. Le travail des enfants a globalement diminué, mais il est loin d'avoir été aboli. Selon les chiffres de l'OIT, 215 millions d'enfants, âgés de 5 à 17 ans, exercent une activité économique ; 115 millions d'entre eux sont soumis aux travaux les plus pénibles1 . L'opinion publique a été sensibilisée à travers des campagnes appelant au boycott d'entreprises dont la responsabilité avait été mise en cause, comme Gap, Reebok, Adidas. Il faut maintenir la pression sur ces multinationales afin qu'elles mettent de l'ordre dans leur chaîne d'approvisionnement en éliminant les fournisseurs faisant travailler, directement ou non, des enfants.

L'éradication des pires formes du travail des enfants à l'horizon 2016, voulue par la communauté internationale, vous paraît-elle un objectif atteignable ?

H. D. : Le contexte actuel de crise pourrait ralentir le volontarisme qui s'est manifesté ces dernières années sur cette question. Le Bureau international du travail s'est récemment inquiété du relâchement des efforts déployés. L'utilisation de cette main-d'oeuvre vulnérable est encore très importante en Inde. Pire, elle s'accroît en Afrique. Plusieurs difficultés pèsent sur l'ensemble des Etats. A commencer par la réduction, voire la suppression de financements internationaux destinés aux programmes de protection des enfants. Bien souvent, lorsque ces crédits sont coupés, les pouvoirs publics ne prennent pas le relais. Le développement d'une économie informelle est un autre facteur d'extension du travail des enfants. Les discours xénophobes et les politiques de fermeture des frontières fragilisent encore davantage les migrants, qui sont acculés dans des situations de clandestinité durable. Enfin, l'aggravation des difficultés économiques et de la pauvreté augmente le risque. L'Europe n'est d'ailleurs pas à l'abri d'un retour en arrière. Dans plusieurs pays, la crise pousse désormais des mineurs à effectuer des petits boulots pour aider leur famille à joindre les deux bouts.

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    Voir " 115 millions d'enfants font un travail dangereux ", Santé & Travail n° 76, octobre 2011.