Marche arrière

par
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François Desriaux rédacteur en chef
/ janvier 2016

Il est encore trop tôt pour se prononcer de manière définitive, mais il semble bien que la chambre sociale de la Cour de cassation corrige par petites touches successives, au fil de ses arrêts, son appréciation de l'obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur. Et ce, pour aller vers une obligation de moyens renforcée. Trois arrêts récents1 laissent supposer que les juges entendent restreindre la portée de l'arrêt Snecma du 5 mars 2008. La Cour avait alors interdit à l'employeur, au nom de l'obligation de sécurité de résultat, de "prendre des mesures qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé et la sécurité des salariés".

Cette décision avait été analysée par les commentateurs comme une véritable révolution, faisant passer le sacro-saint pouvoir de direction des entreprises derrière la santé et la sécurité des salariés. Par la suite, d'autres jugements avaient enfoncé le clou, notamment à propos d'affaires de harcèlement moral, où les employeurs, quelles que soient la diligence et l'ampleur des mesures prises, étaient systématiquement condamnés. Evidemment, des voix se sont élevées depuis pour dire que cette évolution de la jurisprudence poussait les entreprises à la résignation et non à l'action de prévention. Message reçu cinq sur cinq à la lecture de l'arrêt Air France du 25 novembre : "Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail2 Il semble donc que les employeurs puissent désormais s'exonérer de leurs responsabilités en apportant la preuve qu'ils ont pris toutes les mesures nécessaires.

Cette "prime à la prévention" pourrait presque constituer une bonne nouvelle si les entreprises faisaient le pari de la prévention primaire. Mais en matière de risques organisationnels, elles nous ont surtout habitués à produire des plans d'actions aussi ronflants qu'inefficaces, davantage centrés sur la prévention secondaire, l'accompagnement des personnes "fragiles", alors que c'est bien le travail, son organisation et le management qu'il faut changer de fond en comble pour être efficace. Il n'est pas certain que les magistrats aient cela en tête et qu'ils soient en capacité d'apprécier la différence. En tout cas, cela ne saute pas aux yeux dans l'arrêt Areva, où les juges, s'ils ont bien retenu que la situation du point de vue des risques psychosociaux (RPS) était qualifiée d'"aiguë", ont estimé que le plan global de prévention des RPS comportant un dispositif d'accompagnement et d'écoute répondait aux obligations de prévention pesant sur l'entreprise... Si elle se confirme, cette évolution de la jurisprudence constituera un défi pour les élus du personnel, les CHSCT et leurs experts, qui devront faire la différence entre des moyens de prévention efficaces et des mesures cosmétiques. Et prouver, le cas échéant, que ce n'est pas la même chose du point de vue des obligations de l'employeur.

  • 1

    Fnac relais du 5 mars 2015, Areva NC du 22 octobre et Air France du 25 novembre.

  • 2

    Articles définissant les règles générales de prévention.