Médecine du travail : une réforme... pour le meilleur ou pour le pire ?

par Eric Berger / octobre 2011

La loi votée en juillet sauvera-t-elle la médecine du travail ? Non, selon les syndicats professionnels, qui en pointent les effets aggravants. La CFDT et la CGT y voient, au contraire, une chance de faire progresser la santé au travail.

Trois ans auront été nécessaires pour accoucher d'une réforme. Trois années de discussions, d'empoignes. Et de rebondissements, le dernier en date étant la censure, par le Conseil constitutionnel, de dispositions qui avaient été greffées en septembre 2010 sur le projet de loi sur les retraites. Les parlementaires avaient alors repris la main, en proposant un texte qui a été définitivement adopté cet été. Les principaux changements apportés par la loi, promulguée le 20 juillet dernier, concernent les services interentreprises.

Durant tout le temps de l'examen du projet, les organisations patronales et syndicales ont cherché à peser sur le texte. Dans un courrier du 25 janvier, la CGT et la CFDT ont insisté d'une seule voix auprès des parlementaires sur la gouvernance des services de santé au travail, estimant qu'elle devait faire l'objet d'une " évolution législative ". Et elles ont eu gain de cause. Du moins partiellement. Le poste de trésorier des services est attribué aux représentants des salariés, qui auront dorénavant un oeil sur les finances. Sont également obtenues la parité au sein du conseil d'administration et la présidence de la commission de contrôle chargée de surveiller l'organisation et la gestion des services. Mais pas question de partager la présidence des services, via un système d'alternance entre employeurs et salariés. Cette possibilité, envisagée un moment par les sénateurs, n'a pas résisté à la force persuasive du patronat. Les dirigeants conservent la présidence et leur voix prépondérante. Un résultat qui ne surprend guère ce connaisseur des représentants patronaux : " L'essentiel de cette réforme n'avait pas d'autre objectif que de maintenir les prérogatives des employeurs. "

" Plus de démocratie dans la gouvernance "

Ce compromis, ni la CGT ni la CFDT ne le rejettent. " Ce texte n'est pas parfait, précise Jean-François Naton, de la CGT, mais il permet d'insuffler plus de démocratie dans la gouvernance des services, que le syndicalisme avait fini par déserter faute de sens. Nous sommes d'autant plus en capacité de reconquérir les enjeux de santé au travail que les objectifs vont être, à l'échelon régional, contractualisés par les services de médecine avec les organismes de sécurité sociale, ce qui permettra de tisser des liens entre santé publique et santé au travail. " Pour Henri Forest, de la CFDT, les représentants des salariés ont toute leur place à prendre : " A nous maintenant d'investir les instances au sein des services et de nous impliquer dans l'élaboration d'une politique de santé au travail qui soit en phase avec les réalités et les besoins des territoires. Mais pour mettre en musique notre engagement, il sera nécessaire de rationaliser l'implantation des services en procédant à des regroupements. "

Cette position n'est pas partagée par d'autres organisations syndicales et, notamment, celles qui rassemblent des médecins du travail. " Ce n'est pas un vrai paritarisme ", fustige Mireille Chevalier, du Syndicat national des professionnels de santé au travail. " La commission de contrôle est présidée par un représentant des salariés ? Celle-ci n'a qu'un pouvoir moral, pas la capacité d'infléchir les décisions ", souligne pour sa part Alain Carré, du syndicat CGT des médecins des mines et industries électriques et gazières, qui marque son désaccord avec sa confédération.

La gouvernance n'est pas le seul sujet qui pose problème. Un autre élément change la donne. Alors que les directions étaient jusqu'à présent chargées de garantir la mise à disposition des moyens nécessaires, la loi confie aux responsables des services la même mission que celle des médecins du travail, à savoir " éviter toute détérioration de la santé des travailleurs à cause de leur travail ". Pour ce faire, ils vont pouvoir, en lien avec l'équipe de leur service, conduire des actions de santé au travail, apporter des conseils, assurer la surveillance de l'état de santé des travailleurs et participer au suivi de la traçabilité des expositions professionnelles. D'autres missions sont créées, telles que la prévention de l'alcool et des drogues sur le lieu de travail ou encore la prévention de la désinsertion professionnelle. Si la commission médico-technique formule des propositions, le plan d'action du service reste soumis au conseil d'administration et c'est le directeur qui le met en oeuvre sous l'autorité du président.

Quelles missions seront menées par les directions ? Difficile pour les médecins d'y voir clair. " Si elles consistent, par exemple, à assister les petites et moyennes entreprises dans l'élaboration du document unique de prévention des risques professionnels, alors pourquoi pas... ", commente un médecin. " Nous ne sommes pas à l'abri d'une prise de pouvoir par les gestionnaires, estime un autre. C'est bien là que réside le risque d'atteinte à notre indépendance professionnelle, contraire au Code de déontologie et pointé par le Conseil de l'ordre. Prenons le cas d'une entreprise qui utiliserait des cancérogènes et où il existerait aussi des risques psychosociaux : qu'est-ce qui pourra empêcher le directeur d'orienter la priorité de l'action sur les seules substances dangereuses et de délaisser les risques psychosociaux ? "

Les médecins s'inquiètent également du rôle que la loi voudrait leur faire jouer. Une nouvelle mission leur est en effet assignée : déclencher une alerte en cas de constat d'un risque collectif pour la santé des travailleurs. Une mesure qui ne leur poserait aucun problème si elle n'était assortie de la nécessité de formuler par écrit des préconisations adressées au chef d'entreprise. Cette posture de conseil n'est pas, selon Mireille Chevalier, compatible avec le fondement de leur métier : " Notre fonction n'est certainement pas d'aider les employeurs à gérer les risques, puisque nous avons pour mission exclusive de surveiller les effets du travail sur la santé et de les prévenir. Nous sommes dans la même confusion de genre subie par les inspecteurs du travail, à qui on demande de faire plus d'accompagnement et moins de contrôle. "

Externalisation du suivi médical

Les dispositions de la loi seront complétées par des décrets d'application, qui devraient porter notamment sur la mise en oeuvre des contrats d'objectifs, le suivi médical des travailleurs précaires, la périodicité de la visite médicale, la gouvernance ou encore le statut des membres des équipes pluridisciplinaires. " Nous allons être très attentifs sur tous ces points, sur la démarche de contractualisation avec la Sécurité sociale ou encore sur l'indépendance des intervenants en prévention des risques professionnels ", assure Jean-François Naton. Quant à Eric Beynel, de Solidaires, il ne se fait guère d'illusions sur cette suite : " Cette réforme n'aborde aucun des véritables problèmes, comme la notion d'aptitude ou la question de la pénurie de médecins du travail. " Pour ce syndicaliste, la loi ouvre même une brèche en permettant l'externalisation du suivi médical de travailleurs tels que les salariés des particuliers employeurs ou les mannequins, suivi qui va devenir l'affaire des médecins de ville.

La réforme n'aura pas réussi à calmer les médecins du travail, inquiets pour le devenir de leur profession. Pour préserver leur indépendance et la spécificité de leur pratique, certains proposent maintenant de séparer, au sein des services, l'activité historique de protection de la santé au travail de celle de conseil aux entreprises dans la gestion des risques professionnels.

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