© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Médecine du travail : comment déjouer les abus du secret médical

par Alain Carré médecin du travail / octobre 2008

Secret médical d'un côté, devoir d'alerte de l'autre. Entre ces deux contraintes qui pèsent sur le médecin du travail, il n'est pas toujours aisé pour les CHSCT de s'y retrouver. Pourtant, le secret professionnel ne doit en aucun cas faire obstacle à la prévention.

Il n'est pas rare que des représentants du personnel se plaignent du refus du médecin du travail, au motif de secret médical, de communiquer certaines informations au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). A l'inverse, des médecins du travail ont été poursuivis par des employeurs devant des conseils de l'Ordre national des médecins pour avoir prétendument rompu le secret médical en signalant certains risques auprès de l'Inspection du travail. En savoir un peu plus sur cette notion permettra aux acteurs de la prévention d'éviter de tomber dans certains pièges.

La notion de secret professionnel dont il est question à l'article 226-13 du nouveau Code pénal était autrefois disjointe en deux définitions distinctes : le secret médical et le secret de fabrique. Travaillant dans l'entreprise, le médecin du travail doit respecter ces deux obligations.

 

Pas de médecine sans confidence

 

Le secret médical est défini par le Code de déontologie médicale et par celui de la santé publique. Institué dans l'intérêt du patient et ne pouvant lui être opposé, le secret fonde l'acte médical : pas de médecine sans confidence, pas de confidence sans confiance, pas de confiance sans secret. L'article 4 du Code de déontologie médicale définit le secret, lequel n'a rien de subjectif. Il ne s'agit ni de discrétion, ni de réserve, ni de confidentialité, qui n'ont pas de définition légale. Le secret médical concerne ce qui "est venu à la connaissance du médecin dans l'exercice de sa profession, c'est-à-dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu'il a vu, entendu ou compris". L'article L. 1110-4 du Code de la santé publique en rappelle les caractéristiques : "Excepté dans les cas de dérogation, expressément prévus par la loi, ce secret couvre l'ensemble des informations concernant la personne venues à la connaissance du professionnel de santé..."

Chaque nouveau médecin s'engage donc à respecter le secret médical lors du serment d'Hippocrate. Non seulement il s'impose au médecin, mais c'est aussi une mesure d'ordre public. Ainsi, toute tentative de le percer constitue, pour n'importe quelle personne, un délit pénal passible d'une peine de prison et d'une forte amende. En outre, pour le médecin, la transgression du secret médical est une faute déontologique, instruite par l'un des conseils de l'Ordre national des médecins. Sauf que le secret dont il est question ici porte sur la santé d'un sujet et sur les données individuelles nominales. Le seul plaignant légitime devant cette instance ordinale ne devrait donc être que le salarié concerné. Les plaintes déposées par les employeurs relèvent plutôt du secret de fabrique. D'ailleurs, à ce jour, aucun médecin n'a été sanctionné par l'Ordre.

Le secret professionnel dit "de fabrique" concerne les préjudices commerciaux subis par un entrepreneur, nés de la révélation sur ce qui est produit, sur la fabrication ou l'exploitation. Il fait l'objet d'une jurisprudence très abondante. Le médecin du travail est astreint, de par sa fonction, au "secret du dispositif industriel et technique de fabrication et de la composition des produits employés et fabriqués ayant un caractère confidentiel" (R. 4624-9 du Code du travail). Lorsqu'il s'agit d'hygiène et de sécurité du travail, le législateur a fait lever le secret, à condition toutefois que les personnes qui en seraient secondairement dépositaires y soient elles aussi astreintes. Il en est ainsi de la composition des substances dangereuses pour la santé des salariés. Dans ce cas, le législateur précise ce qui ne relève pas de la divulgation du secret industriel et commercial (R. 4411-56 à R. 4411-59). A l'analyse de ces exceptions, on s'aperçoit que seul le tour de main original pour la mise en oeuvre de certains composés relève du secret. Ce dernier ne peut donc être opposé à l'Inspection du travail et à ses experts, à divers préposés des caisses d'assurance maladie, au CHSCT ou au comité d'entreprise et à leurs experts, eux-mêmes astreints au secret.

 

Obligation d'informer

 

Dès lors, on ne comprend pas que certains juristes persistent à considérer que la transmission par le médecin du travail au médecin-inspecteur du travail d'éléments concernant les expositions professionnelles constituerait une violation du secret professionnel. Même chose s'agissant de la fiche d'entreprise. C'est oublier que la protection de la santé est un droit constitutionnel fondamental qui ne peut être d'un rang inférieur à l'intérêt commercial de l'entrepreneur. On remarquera aussi que, sauf instructions explicites de l'employeur, seul ce qui est confidentiel dans la fabrication relève du secret. Donc tout le reste est d'ordre public.

En revanche, ne relève ni du secret médical ni de celui de fabrique ce qui est constitutif du devoir d'alerte du médecin en matière de risques professionnels et de leurs effets individuels et collectifs. Citons quelques situations exemplaires :

  • décrire les risques professionnels de tel ou tel salarié, a fortiori de tel ou tel groupe de salariés ;
  • sans citer les personnes concernées, décrire les effets de tel ou tel risque professionnel, y compris en détaillant les liens avec des situations de travail ;
  • informer un salarié sur ses risques professionnels lors de la consultation, non seulement du point de vue des textes réglementaires spécifiques, mais également en application du Code de la santé publique, comme tout médecin ;
  • informer des risques professionnels la communauté de travail à travers les instances représentatives du personnel ;
  • porter une appréciation sur l'efficacité des mesures de prévention primaire mises en place par l'entreprise ;
  • évoquer dans l'entreprise un accident du travail ou une maladie professionnelle déclarée, y compris la nature de la lésion ou de la maladie telle que portée sur l'imprimé "Cerfa", et a fortiori ses circonstances de survenue et ses liens avec le travail ;
  • présenter aux représentants du personnel des données individuelles de santé anonymes, à condition que l'anonymat protège réellement le secret, et des données individuelles agrégées, aux mêmes conditions ;
  • rédiger pour un salarié victime d'un risque professionnel un certificat médical décrivant le risque et ses effets sur sa santé, dont il ferait un usage public.

 

Demande de justification

 

Lorsque le médecin du travail met en avant le secret médical, les représentants du personnel ne doivent pas hésiter à lui demander de justifier la nature secrète des données qu'il refuserait de communiquer et, en cas de doute sur ses explications, à recourir à l'inspecteur du travail. Ce dernier pourra charger le médecin-inspecteur régional du Travail et de la Main-d'oeuvre d'une expertise à ce sujet.

La mise en examen de deux mé­decins du travail dans l'affaire de l'amiante, pour homicide et blessures involontaires et non-assistance à personne en danger, démontre l'importance de l'obligation d'information et d'alerte pesant sur le médecin du travail. En dehors des cas prévus par les textes, qui sont, comme on vient de le voir, très circonscrits, se réfugier derrière le secret médical pour se soustraire à cet impératif pourrait être considéré comme une faute professionnelle.