© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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La médecine du travail rappelée à l'ordre

par Eric Berger / janvier 2009

A la veille de la réforme de la médecine du travail, le Conseil de l'ordre et la Haute Autorité de santé viennent d'édicter leurs recommandations. L'un s'est penché sur le respect des principes déontologiques, l'autre sur le dossier médical.

Bénéficiant d'un délai accordé par le ministre du Travail, les partenaires sociaux ont désormais jusqu'à la fin février pour parvenir à un accord sur la médecine du travail, avant que celle-ci ne fasse l'objet d'un projet de loi. L'objectif de cette nouvelle réforme : redéfinir les missions et l'organisation des services de santé au travail. Si les questions de gouvernance et de moyens mis à disposition seront au coeur des discussions, c'est aussi celle de la pratique professionnelle des médecins du travail qui, en filigrane, sera posée. Et sur ce thème, les négociateurs, comme les pouvoirs publics, ne pourront pas ignorer les préconisations récentes du Conseil national de l'ordre des médecins et celles à venir de la Haute Autorité de santé (HAS). Des recommandations destinées à border les pratiques et qui ne sont pas forcément très agréables à entendre.

 

Anonyme et confidentiel

 

C'est le cas notamment du document rédigé fin octobre par les sages du Conseil de l'ordre, qui rappelle les médecins du travail au respect de principes déontologiques. La raison de ce coup de semonce ? La prise en charge des risques psychosociaux par certaines entreprises pour accompagner la souffrance de leurs salariés, notamment à travers la mise en place de cellules d'écoute. Alerté sur un certain nombre de dérives, le Conseil précise les conditions devant être réunies pour autoriser les médecins à s'inscrire dans ces démarches. Si l'écoute d'un salarié est un acte médical, qui entre complètement dans le champ des compétences des médecins du travail, le texte insiste sur le fait que ces cellules ou tout dispositif analogue ne doivent pas poursuivre d'autre objectif que l'intérêt du salarié : "Il ne peut en aucun cas s'agir d'outils à vocations multiples : lutte contre l'absentéisme, évolution de carrière, modification notoire du contenu de son poste de travail..." La possibilité de rencontrer un membre d'un programme d'écoute doit résulter d'une démarche volontaire et totalement anonymisée vis-à-vis de l'employeur. La confidentialité est indispensable pour protéger le salarié d'une sanction lorsqu'il refuse d'adhérer à un tel dispositif ou, a contrario, pour le préserver des risques de stigmatisation.

La recommandation apporte également des éléments définissant le statut de médecin écoutant. Ce professionnel, placé sous la responsabilité du médecin du travail, doit pouvoir justifier d'un diplôme ou d'une formation sur la prise en charge des risques psychosociaux, et ce dans un organisme agréé par un des trois conseils nationaux de la formation médicale continue (CNFMC). Enfin, le Conseil de l'ordre rappelle l'intangibilité des principes déontologiques. Quelles que soient les mesures d'accompagnement, tout ce qui relève de l'entretien du salarié avec le médecin du travail est obligatoirement couvert par le secret médical. Pas question, donc, de partager les informations recueillies avec la direction des ressources humaines ou avec d'autres professionnels non tenus par ces règles de confidentialité relatives aux données médicales.

 

A l'opposé d'une logique de sélection

 

A la demande de la Société française de médecine du travail, la Haute Autorité de santé a pour sa part planché sur un nouveau modèle de dossier médical en santé au travail (DMST). Ses recommandations, que Santé & Travail a pu consulter, devraient être rendues publiques début 2009. Les experts et professionnels réunis par la HAS ont pointé les lacunes du modèle actuel de dossier, qui ne fait pas des risques professionnels la priorité : "La traçabilité des expositions est insuffisante, de même que la traçabilité des conseils et actions de prévention dispensés par le médecin du travail."

Deuxième axe de réflexion, la Haute Autorité anticipe la probable disparition de l'aptitude au poste. En supprimant cette notion, la visite médicale change d'objectif. Il n'est plus question de "sélection" des personnes : il s'agit au contraire "d'améliorer la qualité des informations permettant d'évaluer le lien entre l'état de santé du travailleur et les expositions professionnelles". C'est donc un renversement de logique qui se dessine, ce qui implique de structurer différemment la visite et de revoir de fond en comble le dossier médical. Pour cela, le modèle préconisé par la HAS enrichit le contenu de plusieurs rubriques. Le dossier doit ainsi comporter des données socio-administratives extraites du dossier du travailleur transmis par l'employeur, ainsi que l'ensemble des informations recueillies durant l'examen médical (données de l'entretien, antécédents médicaux et familiaux, vaccins, traitements en cours, etc.).

Cette nouvelle version du dossier innove en consacrant une partie entière à l'emploi et aux activités professionnelles du salarié. Ces informations, qui font aujourd'hui défaut, visent à identifier les expositions professionnelles actuelles et antérieures. Description du travail, horaires, risques, nuisances et fréquences d'exposition, mesures de prévention... constituent des indicateurs qui peuvent être renseignés par l'employeur, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), le salarié lui-même, ou encore par les organismes de prévention. La nature et l'origine de ces informations doivent être à chaque fois précisées.

Enfin, une partie permet au médecin du travail de formuler un avis médical et des propositions d'amélioration ou d'adaptation du poste de travail, voire de reclassement lorsque cette solution s'impose.

La Haute Autorité émet en outre plusieurs recommandations afin de garantir la confidentialité des données, notamment dans la perspective de l'informatisation de cet outil. Cela nécessitera d'ailleurs une déclaration préalable à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil). Seul le médecin du travail peut accorder par écrit les autorisations et niveaux d'accès au dossier, notamment vis-à-vis des personnels infirmiers, qui sont eux aussi tenus au respect du secret professionnel. Le salarié peut bien sûr consulter son dossier et il dispose d'un droit d'opposition et de rectification. Lui seul décide, en cas par exemple de changement d'entreprise, de la possibilité de faire suivre son dossier dans un autre service de santé.

Mais la question de la transmission n'a pas fait l'objet d'une recommandation de la Haute Autorité, faute d'un consensus au sein du groupe de travail. Si le contenu des dossiers accorde une plus large place aux expositions professionnelles, le travail de suivi médical et de veille sanitaire restera donc partiel. Face à cette lacune, la HAS propose de mener ultérieurement une réflexion sur les conditions de transmission du dossier qui associerait l'Ordre des médecins, la direction générale du Travail et la direction générale de la Santé. En attendant, il reste aux médecins du travail le soin de s'approprier ce nouveau dossier médical, dont la portée ne pourra être vraiment complète que si la notion d'aptitude au poste est bel et bien supprimée dans la réforme.