© NATHANAËL MERGUI / MUTUALITÉ FRANÇAISE
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Les médecins du travail craignent d'être réformés

par Eric Berger / avril 2010

Suite à l'échec des négociations entre patronat et syndicats, le gouvernement a dévoilé les axes de sa réforme de la médecine du travail. Un projet contesté par les professionnels, qui dénoncent une remise en cause des fondements mêmes de leur métier.

Xavier Darcos voulait impulser " un nouveau souffle aux services de santé au travail ". Le voeu de l'ex-ministre du Travail a été exaucé, mais pas comme il l'aurait souhaité. Depuis la présentation, en décembre dernier, des grandes orientations de la réforme de la médecine du travail, un vent de contestation souffle en effet au sein de cette profession. A Bourg-en-Bresse, des médecins ont ainsi lancé une pétition dénonçant " une mise à mort " de leur métier. Même rejet par le collectif " Sauvons la médecine du travail ", qui s'oppose aux " effets destructeurs " de la réforme, tandis que le Syndicat national des professionnels de santé au travail (SNPST) propose un manifeste pour une politique alternative de gestion des services de santé au travail (SST).

Mainmise patronale

Certains syndicats de salariés ne taisent pas non plus leurs critiques. " Les orientations exposées par Xavier Darcos reprennent les positions du Medef que nous avions précisément refusées dans le cadre de la négociation ", relève Bernard Salengro, de la CFE-CGC. Ainsi, en matière de gouvernance, la réforme proroge la mainmise des employeurs sur les SST en leur octroyant les deux tiers des sièges dans les conseils d'administration, alors que syndicats et médecins du travail réclament unanimement la fin de l'hégémonie patronale... " Cette domination sera de surcroît aggravée par la volonté de confier aux directions des SST le soin de définir et de mettre en oeuvre la politique de prévention, juge Karyne Devantay, du collectif de médecins de Bourg-en-Bresse. Notre profession, qui ne cesse de se battre pour son indépendance, sera très clairement placée sous la tutelle du patronat. C'est la fin de toute prévention réelle en santé au travail, car seront juges et parties ceux-là mêmes qui créent les risques. "

Espaces à préserver

Le projet de Xavier Darcos ne revient pas non plus sur la diminution de la fréquence des visites médicales, qui sont réalisées tous les deux ans depuis la précédente réforme de 2004. En donnant la priorité à des " actions collectives de prévention en milieu professionnel ", il risque même d'éloigner un peu plus les médecins de cet exercice médical individuel. Ces actions collectives seraient coordonnées par les médecins du travail, qui, tels des managers d'équipe, animeraient un groupe de professionnels : infirmiers, ergonomes, etc. " Il y a l'idée sous-jacente que la visite n'aurait finalement pas de grande utilité pour la santé au travail, souligne Philippe Davezies, enseignant-chercheur en médecine du travail à l'université Lyon 1. Le principe de consultations médicales centrées sur la détermination de l'aptitude du salarié a fini par imposer une vision très appauvrie de cette rencontre. Cela occulte le travail de prévention accompli lors de celle-ci par de nombreux médecins du travail, en particulier face à l'accroissement des risques psychosociaux. " A ce titre, poursuit le chercheur, " le projet du gouvernement est cohérent et s'éloigne de cette dynamique de prévention, puisqu'il persiste à maintenir la détermination de l'aptitude dans la mission de la médecine du travail, alors que cet acte est totalement vidé de son contenu ".

Dans un contexte où les organisations du travail isolent de plus en plus les salariés, l'examen médical est souvent le dernier lieu où ils peuvent encore exprimer leurs difficultés. " Dans cet espace protégé par le secret médical, il est possible de manifester sa souffrance, de dire sa difficulté à "tenir" ou son angoisse de "ne plus y arriver", de confier combien on a le sentiment d'être malmené, voire maltraité ", explique Mireille Chevalier, du SNPST. Cette clinique médicale individualisée est indispensable pour pouvoir déployer ensuite des actions de prévention collective. Elle permet de démêler les enjeux, de revenir sur l'activité professionnelle, d'identifier les points de dysfonctionnement et les contradictions dans le travail sur lesquels il est possible d'agir collectivement. " En partant de la plainte individuelle, nous aidons les personnes à trouver des capacités d'action, précise Christian Torres, également membre du SNPST. Mais le projet Darcos va à l'encontre d'un nécessaire renforcement de la prise en charge individuelle. " Aujourd'hui, selon le SNPST, un médecin du travail doit bien souvent suivre plus de 3 000 salariés. A court terme, on pourrait arriver à 5 000 salariés par médecin. " Nous allons travailler à l'abattage et serons contraints de renoncer à aider individuellement nombre de salariés ", déplore Christian Torres.

Un deuxième plan santé-travail trop plan-plan

La présentation en janvier par le gouvernement du deuxième plan santé-travail (PST2) pour la période 2010-2014 a reçu un accueil plus que mitigé. Les organisations syndicales ont globalement dénoncé un manque d'ambition. Si le plan affiche des intentions louables - en voulant notamment réduire de 25 % les 700 000 accidents du travail et stabiliser le nombre de maladies professionnelles, qui a presque doublé en dix ans -, il ne détaille pas les moyens attribués pour atteindre ces objectifs. La Fnath, Association des accidentés de la vie regrette ainsi " qu'aucun budget par action ne soit présenté au jour d'aujourd'hui et qu'aucune mesure forte ne vienne garantir l'effectivité du droit "

Doté d'une somme globale de 30 millions d'euros, le plan s'articule autour de quatre axes d'intervention classiques : l'amélioration de la connaissance en santé au travail ; une politique active de prévention des risques professionnels, et notamment de ceux qui sont en forte augmentation (troubles musculo-squelettiques, risques cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques, risques psychosociaux) ; le renforcement de l'accompagnement des entreprises, en particulier de celles de 11 à 49 salariés ; un pilotage du plan ainsi qu'une politique de communication sur sa mise en oeuvre. Après sa présentation devant le Conseil d'orientation sur les conditions de travail (Coct), le PST2 a été définitivement adopté le 22 mars au cours d'une réunion interministérielle, au terme d'une concertation régionale.

Le recours à des infirmiers du travail pour assurer la prévention laisse également perplexe. " C'est au prétexte de pénurie de médecins, et non pour valoriser leur rôle, que les infirmiers vont réaliser des "rencontres médico-professionnelles", hors de toute définition de ces actes, sans formation spécifique, hors de tout cadre réglementaire et de tout lien avec le Code de la santé publique ", pointe Alain Carré, membre du syndicat CGT des médecins du travail d'EDF-GDF.

Le passage à une pratique plus collective de la médecine du travail ne rencontre cependant pas que des opposants. " La périodicité de la visite médicale n'est pas l'alpha et l'oméga de la médecine du travail, estime Henri Forest, de la CFDT. Nous entendons les arguments en faveur de la défense de cette pratique individuelle, mais nous aimerions avoir une connaissance des résultats en termes d'amélioration de la prévention collective. "

Le sort de la médecine du travail devrait être tranché au cours du deuxième trimestre 2010. La réforme fera l'objet d'un projet de loi qui sera examiné d'ici l'été par le Parlement.